samedi 9 janvier 2010

La Villette, après le passage du président


Promenade à La Villette, où le président de la République est venu présenter ses vœux culturels. Entre la Cité de la Musique et le Zénith, le long du périphérique, le trou de l’Auditorium de Paris rappelle celui des Halles : deux mille quatre cents places pour remplacer en 2013 la salle Pleyel, alors dévolue aux variétés. Au même moment et à l’autre bout de Paris, Radio France ouvrira son nouvel auditorium de mille cinq cents fauteuils, en lieu et place de la salle Olivier Messiaen (ex-studio 104), et destiné, entre autres, à accueillir les deux orchestres maison. Ecartelés, les amateurs de symphonique, genre moins onéreux, mais moins tendance que l’opéra ! Actuellement, les concerts chers (grands orchestres en tournée, etc.) ont du mal à faire salle comble. Alors imaginez : le Philharmonique de Berlin à la Porte de Pantin (maquette sur la photo), ce sera très chic, mais qu’en dira le public des beaux quartiers, qui s’embouteillera sur le périphérique à défaut de prendre le métro ? Et les abonnés de l’Orchestre de Paris, locataire prioritaire de la nouvelle salle, suivront-ils leur phalange préférée jusqu’au grand-est parisien? Ils sont bien allés huit ans au Palais de Congrès (1973-1981) et quatre à Mogador (2002-2006), mais ce n’était pas, comme cette fois, le bout du monde ! Certes, les Londoniens vont jusqu’au Barbican Center, qui n’est pas précisément central, mais la notion de centre n’est pas la même là-bas qu’ici. Laurent Bayle, directeur de Pleyel et du projet de La Villette, évoque une nouvelle vie musicale, un nouveau public, une nouvelle donne. Il pense, pour reprendre l’idée de notre confrère Jacques Doucelin, à l’expérience de Gustavo Dudamel au Venezuela. On veut bien rêver avec lui.

vendredi 8 janvier 2010

Sarkozy, la culture, les sous

C’est à la Cité de la Musique que Nicolas Sarkozy présente ses vœux au monde de la culture. Le symbole est fort. Le symbole seulement. Passés les préliminaires – « la culture c’est des lettres plus que des chiffres, des émotions et non des statistiques » - le président passe aux choses sérieuses : les sous. La presse retient surtout les résultats des travaux de la mission confiée à Patrick Zelnik, directeur du label Naïve, éditeur de Sandrine Piau, d’Anne Gastinel et de Carla Bruni. Il s’agit de créer une carte musique jeune - 200 euros de potentiel d’achat à moitié remboursé par l’Etat -, destinée à « réhabituer les jeunes à acheter de la musique ». D’après les enquêtes officielles, les jeunes téléchargent illégalement parce que le téléchargement légal est trop cher. Alors, légalité payante ou illégalité gratuite ? Les débuts d’année sont dévolus aux vœux pieux. Le président est moins angélique à propos de Google : « Fuite de matière fiscale ». Il annonce aussi que le projet du Musée de l’histoire de France, dans les limbes depuis un an, devrait aboutir en juin. Une façon comme une autre de prolonger le débat sur l’identité nationale. Pas de commentaire particulier, en revanche, sur le chantier tout proche de la Philharmonie de Paris, que présente son architecte Jean Nouvel. Comme disait Sacha Guitry à propos de Versailles : « On nous dit que nos rois dépensaient sans compter, qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils, mais lorsqu’ils construisaient de semblables merveilles, ne mettaient-ils pas notre argent de côté ? »

jeudi 7 janvier 2010

Claudio Abbado et Lulu : projet ou fantasme ?


Lulu d’Alban Berg à La Scala de Milan, dirigé par Claudio Abbado et mis en scène par Michael Haneke. Un mirage, une erreur, un rêve d’après réveillon ? Non, un projet, au moins une éventualité, selon le magazine italien Classic Voice, relayé par le blog milano-new-yorkais Opera Chic. Si sa santé le lui permet, Abbado va faire son come back à La Scala en juin prochain, dans la Symphonie « Résurrection » de Mahler, vingt-quatre ans après avoir cédé le bureau directorial à Riccardo Muti. Mais un opéra ! Et quel opéra ! Familier de Wozzeck, Abbado a créé une frustration durable en enregistrant la Lulu-Suite en 1970, puis plus rien.

Quant à Haneke, qui a fait ses débuts de metteur en scène lyrique à Paris il y a quatre ans avec un Don Giovanni high tech et controversé, il affronterait le souvenir et les fantasmes suscités avant lui par Wieland Wagner, Patrice Chéreau, Peter Stein et quelques autres. Petit problème : une nouvelle Lulu est en préparation à La Scala pour avril, dans la mise en scène de Peter Stein importée de Lyon et dirigée par Daniele Gatti. On est content, en tout cas, qu’Abbado (soixante-seize ans) fasse des projets à long terme.

mercredi 6 janvier 2010

Artistes en résidence ou stars à domicile ?


« Artiste en résidence ». Pour l’abonné d’un orchestre, d’un festival, d’une société d’orgue ou d’un cycle de musique de chambre, cela veut dire que qu’il a intérêt à aimer l’artiste en question, car il va l’entendre souvent. Pour l’artiste, c’est une sécurité : une semaine, un mois, un an de travail confortable et rémunéré. Idem pour les organisateurs, à qui cela permet d’ancrer leur travail et celui des artistes dans une « réalité sociale, financière et culturelle à long terme » (selon les termes des dossiers de presse). En France, ce sont surtout les compositeurs qui sont en résidence. On a vu Bruno Mantovani à Lille, Karol Beffa à Toulouse et Marc-André Dalbavie auprès de l’Orchestre de Paris.

Ce qu’on n’a pas encore vu - ou de manière subliminale -, ce sont les stars en résidence. Puisque un compositeur de musique contemporaine, c’est chic, mais cela ne remplit pas la salle, les orchestres américains ont pris l’habitude de lui adjoindre un interprète qui, lui, la remplit. Cela donne Sofia Gubaidulina + Lang Lang, relayés par George Benjamin + Yo Yo Ma à San Francisco, ou Magnus Lindberg + Thomas Hampson à New York. Pour les stars, les résidences sont plus concentrées - une semaine une ou deux fois dans l’année -, mais aussi plus intensives : musique de chambre, master classes, showcases hors les murs, etc. Subventionnés comme ils le sont, nos grands orchestres ont-ils besoin de ce genre de produit d’appel ? Quant aux autres, par exemple les ensembles baroques, ont-ils les moyens de s’offrir Natalie Dessay en résidence, ne serait-ce que quelques jours par an ? Ce sont peut-être les sponsors, auxquels nos institutions font de plus en plus appel pour compléter les subsides publics, qui y penseront les premiers.

Photos : Karol Beffa, Marc-André Dalbavie

mardi 5 janvier 2010

Palais Garnier, Opéra Bastille : lequel est le plus jeune ?


L’impératrice Eugénie et Charles Garnier, devant le nouvel opéra en construction : « Qu’est-ce que c’est que ce style ? Ce n’est ni du grec, ni du Louis XV, pas même du Louis XVI. » « Non, ces styles-là ont fait leur temps. C’est du Napoléon III. Et vous vous plaignez ? ». Le 5 janvier 1875, quand son Palais est enfin terminé, Garnier est toujours là, mais l’empire n’est qu’un souvenir, et c’est Mac-Mahon, président de la république, qui l’inaugure. Seul bémol : on a oublié d’inviter l’architecte, qui doit payer sa place. Le spectacle est copieux : ouverture de La Muette de Portici d’Auber, les deux premiers actes de La Juive d’Halévy, ouverture de Guillaume Tell de Rossini, scène de la Bénédiction des poignards extraite des Huguenots de Meyerbeer, le tout arrosé d’un ballet de Delibes, La Source.

Cent-quatorze ans et cent-quatre-vingt-neuf jours plus tard, le 13 juillet 1989, l’Opéra Bastille est inauguré par François Mitterrand dans le cadre du bicentenaire de la Révolution, en présence de tous les chefs d’état de la planète. On n’a pas oublié d’inviter l’architecte Carlos Ott, mais personne ne se soucie de lui. On n’imagine d’ailleurs pas le président lui demandant de quel style est son monument, et on ne le voit pas répondre : « C’est du Mitterrand ». La principale préoccupation du chef de l’état, ce jour-là, est la longueur du spectacle. Comme il déteste la musique et qu’il craint que ses alter ego ne partagent son aversion, le défilé de stars (Alfredo Kraus, Shirley Verrett, Barbara Hendricks, Plácido Domingo, etc.) réglé par Bob Wilson et intitulé La Nuit avant le jour, ne dure qu’une heure.
Aujourd’hui 5 janvier 2010, cent-trente cinq ans après son ouverture, le Palais Garnier est un des monuments les plus visités de Paris, c’est à dire du monde. On y vient pour le spectacle autant que pour le coup d’œil sur la salle et les foyers. Vingt-et-un an et cent-soixante-seize jours après son inauguration, l’Opéra Bastille, lui, fait son office, sinon d’opéra populaire (utopie de départ), du moins de grande salle aux normes internationales. Rénové par tranches sur une période de quinze ans, le premier est solide comme le pont neuf. Le second, à peine ouvert, a commencé à se fissurer. On attend sa fermeture pour révision générale. Le Palais Garnier a été classé monument historique le 16 octobre 1923. Classera-t-on un jour l’Opéra Bastille ? Et d’ailleurs, tiendra-t-il assez longtemps ?

lundi 4 janvier 2010

La musique, fléau des acouphènes


Portable vissé à l’oreille, iPod à plein volume, soirées en boite et techno-parade : les acouphènes sont les fléaux des oreilles branchées. Pour soigner ces bourdonnements, sifflements ou tintements incessants, qui ne frappent pas que les clubbers mais affligent aussi les musiciens d’orchestre et même les discophiles drogués aux Symphonies de Chostakovitch, l’Institut de Biomagnétisme et d’Analyse du Biosignal de l’Université Wilhelms de Westphalie (Munster, Allemagne) prépare un traitement purement musical. Soumis, à raison de douze heures par semaine, à des musiques débarrassées des fréquences correspondant à celles de leurs bourdonnements, sifflements, etc., un groupe de patients-cobayes a constaté une baisse significative des symptômes. Les chercheurs travaillent à une réorganisation du cortex auditif, dont il s’agit de recâbler dans des tons différents les parties devenues suractives, ou (plan B) à soumettre les neurones auditifs concernés à une « dépression à long terme » entraînant une diminution de leur sensibilité maladive. Brrr ! Avant qu’un Copenhague de la pollution sonore ne devienne nécessaire, mieux vaut écouter Speak low (Kurt Weill - 1943) que de se condamner au Vol du bourdon (Rimski-Korsakov - 1900).

dimanche 3 janvier 2010

Carmen par Gardiner : quand la musique joue le jeu


« A l’opéra, le seul maître à bord, c’est le chef », disait en substance Toscanini, prêchant pour sa paroisse. La remarque prend son sens devant un spectacle comme Carmen, donné en mai dernier à l’Opéra-Comique et diffusé par France 3 en ce premier week-end de 2010 (trois semaines après … Carmen sur Arte, en direct de La Scala). Tant pis pour la mise en scène, plate, pour le décor, cheap, pour les costumes, ternes. Avec son Orchestre Révolutionnaire et Romantique (il fallait oser un tel nom), John Eliot Gardiner nous en fait voir, lui, de toutes les couleurs, et des plus belles. Mais cela, on s’y attendait. Ce qui est troublant, dans l’affaire, c’est que ce sont très clairement les options musicales qui déterminent l’intérêt dramatique. Parce qu’elle est soprano, cette Carmen (Anna-Caterina Antonacci) joue sur l’ironie, sur l’insoutenable légèreté de l’être plutôt que sur la sensualité, et échappe ainsi à tous les clichés du rôle. Parce qu’il use (comme à l’époque) de la voix de tête, ce Don José (Andrew Richards) peut jouer la scène finale comme en rêve, jusqu’à ce qu’il se réveille, et tue. On aurait bien sûr aimé que l’œil et l’oreille soient au diapason. Mais peut-être que le vrai talent du metteur en scène Adrian Noble consiste à s’être souvenu de la sentence de Toscanini.

samedi 2 janvier 2010

Arts plastiques, arts dynamiques : le sens interdit


Une exposition John Cage au Musée d’art contemporain de Barcelone, une autre intitulée « De la scène au tableau » à Marseille (celle où, la semaine dernière, un Degas a été volé) : on n’en finit pas de rechercher les difficiles connexions entre arts plastiques et arts dynamiques. Dans le cas de Cage, le pont est un boulevard : son 4’33’’ (…de silence - 1952) a inspiré les plasticiens, son ami Marcel Duchamp en tête, beaucoup plus que les musiciens, et Robert Rauchenberg a nourri le pop art en devenir de son travail en trio avec le musicien et le chorégraphe Merce Cunningham. On peut, à l’inverse, trouver des traces des arts plastiques dans la musique de Cage : son illustration sonore d’un documentaire sur Alexandre Calder en est la meilleure preuve. Mais les autres ? Schoenberg, le professeur de Cage, était presque aussi bon peintre que compositeur, mais la frontière entre son œil et son oreille était assez étanche. Stravinsky et Picasso ? Une amitié, un décor pour le ballet Pulcinella, un portrait de l’un par l’autre - génial et tellement nouveau que les douanes suisses le prendront pour un message codé -, une pièce pour clarinette solo intitulée Pour Pablo Picasso. Les artistes se fréquentent, élaborent des projets communs, mais allez, par exemple, démontrer dans quelle mesure la musique de Pascal Dusapin et la « peinture de lumière » de James Turrell sont l’une par l’autre influencées dans la pièce scénique To be sung.

John Cage, l’anarchie du silence. Musée d’art contemporain de Barcelone, jusqu’au 10 janvier.
De la scène au tableau. Musée Cantini, Marseille, jusqu’au 3 janvier.

vendredi 1 janvier 2010

Georges Prêtre à Vienne, bis repetita


Cinquante-deuxième Concert du Nouvel an à Vienne, retransmis par France 2, en Eurovision. Les valses de Strauss sont précédées par le Te Deum de Charpentier sous la direction du Révérend Père Martin. C’est ça l’Europe. A part cela, pas grand-chose à signaler, si ce n’est que Georges Prêtre est au pupitre, comme il y a deux ans. Cette fois, le Français mieux aimé à Vienne que dans son pays natal se fait plaisir : la mine gourmande et la baguette vagabonde, il laisse les musiciens jouer « dans la tradition ». Le résultat rappelle l’époque (1955 - 1979) où Willi Boskosky, Konzertmeister maison, dirigeait ses pairs, le violon à la main : tempos modérés, premier temps bien marqué, pesanteur générale. Zappés Karajan (1986), Kleiber (1989 et 1992), et même Maazel, Abbado, Muti, Mehta, Harnoncourt ou Barenboim, successeurs luxueux de Boskovsky aux commandes de la manifestation classique la plus regardée au monde (et désormais sponsorisée par Rolex, partenaire de l’Orchestre). Interrogés par des journalistes français, des membres du Philharmonique de Vienne établissent il y a quelques années le Top five des élus : Zubin Mehta vient en tête, suivi de Riccardo Muti. « Et Carlos Kleiber ? », s’inquiète quelqu’un. « Ah oui, c’est vrai, il a aussi dirigé le Concert du premier de l’an ». Selon que vous serez sur scène ou dans la foule, les mouvements du chef paraîtront blancs ou noirs.
A propos : bonne année !

The War : tendance lourde et grande musique


Petite passe d’armes avec Pablo Galonce, coéquipier de Musikzen et historien de formation, qui suit avec passion sur Arte la série The War. Le documentariste Ken Burns, connu pour avoir réalisé un formidable travail sur la guerre de Sécession, y raconte la seconde Guerre mondiale vue d’Amérique, à travers les témoignages de combattants anonymes venus de quatre petites villes. Une sorte de Chagrin et la Pitié d’outre-Atlantique, en somme. Je reproche à Burns de céder à un ton sentimental à la Spielberg. Tendance lourde de l’historiographie, rétorque Pablo Galonce. Nous nous retrouvons en revanche sur le terrain de la musique : pas de John Williams ici, mais une utilisation exemplaire du répertoire classique. C’est lui qui nous en parle :

« Il y a beaucoup de bonnes raisons de suivre The War, l’excellente série sur la Deuxième Guerre Mondiale qu’Arte programme pour les fêtes de fin d’année. Parmi les meilleures : son commentaire musical. Le générique est signé Wynton Marsalis. Nat King Cole ou Gershwin chanté par Sinatra nous ramènent à l’Amérique des années 1940. Mais il y a aussi le Concerto pour violoncelle de Dvorak, le Trio pour cor, violon et piano de Ligeti, Nuages gris de Liszt, les Variations Enigma d'Elgar (dans une version pour piano), une pièce d’Arvo Pärt et bien d’autres merveilles encore. Si l’on lit attentivement le générique final, on voit défiler les crédits d’une quantité incroyable de morceaux classiques. Cela donne à la série une tonalité mélancolique, très éloignée des accents martiaux auxquels on aurait pu s’attendre, et qui en renforce le caractère intime. Le réalisateur Ken Burns suit une tendance lourde de l’historiographie récente : il s’attache moins à l’Histoire (Hitler, Churchill et Staline brillent par leur absence) qu’aux histoires de ceux qui ont combattu sur le terrain et à leurs familles. Mais sans perdre pour autant la rigueur historique : pour accompagner un épisode atroce de la guerre dans le Pacifique, il a choisi le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen ».