« Les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss. Pour la profondeur obtenue, non par la complexité, mais par la clarté et la simplicité. Pour la pureté avec laquelle s’exprime le sentiment de la mort, de la séparation et du deuil. Pour la longue ligne mélodique qui se déroule tandis que la voix de femme s’élance vers les sommets. Pour la grâce, la sérénité, la parfaite maîtrise, l’intensité de la beauté avec lesquelles cette voix s’élance. Pour la façon dont on est entraîné dans la puissante courbe parabolique de la douleur. Le compositeur laisse tomber tous les masques, et à l’âge de quatre-vingt-deux ans, il se tient nu devant vous. Et vous vous fondez en eau. » (p. 144-145)
Si elles venaient d’un livre sérieux, par exemple d’un Richard Strauss publié par Fayard (l’éditeur de référence des musicos), ces considérations passeraient pour des généralités, de la littérature inutile, de la musicologie pour prime time télévisuel. On ne manquerait pas de remarquer que Strauss avait quatre-vingt quatre ans, et non quatre-vingt deux, quand il a composé ses Quatre Derniers Lieder. Mais voilà, c’est dans un roman qu’on les trouve, et pas n’importe lequel : Exit le fantôme de Philip Roth (1). C'est-à-dire qu’il faut non seulement les replacer dans leur contexte, mais les mettre en perspective. Qui parle ? Dans quelle situation ? Est-ce l’opinion de l’auteur ou de l’un de ses personnages ? Du coup, ces envolées que tout straussophile est en droit de traiter par le mépris prennent un autre relief, acquièrent même un certain mystère. Comme le narrateur du roman n’est autre que Nathan Zuckerman, dont on nous a dit et redit qu’il était le double de Roth lui-même, tout se complique encore. Le drame de cet écrivain qui se croit (à tort, c’est là toute l’histoire) affranchi de ce que l’âge et la maladie lui interdisent est tout entier résumé dans ce paragraphe.
Un peu plus loin dans le roman, on apprend qu’un autre écrivain, génial et oublié, modèle problématique pour Zuckerman-Roth qui vit si mal (si mal que cela ?) sa condition de « plus grand écrivain américain vivant » (oui, mais quand il sera mort ?) a eu pour derniers mots : « La fin est si immense qu’elle contient sa propre poésie. Il n’y a pas à faire de rhétorique. Juste dire les choses simplement. » (p. 176). Un bel écho au « serait-ce déjà la mort ? », qui clôt le dernier des Quatre Derniers Lieder, non ?
Tout cela pour rappeler qu’écrire sur la musique n’est que littérature ? Que ce n’est jamais de musique que l’on parle, mais de soi-même en train d’en écouter, ou plutôt d’en rêver ? Lieux communs, là aussi. Et alors ? Roth le fait avec son génie particulier, comme Ingmar Bergman l’a fait à sa manière dans son dernier film, Sarabande. Le jour est encore loin où les génies empêcheront tout à chacun de commenter ses rêves.
(1) Exit le fantôme, de Philip Roth. Traduit (pas toujours adroitement, mais le style de Roth est plein de chausse-trappes) par Marie-Claire Pasquier. Gallimard, 328 p., 21 euros
lundi 12 octobre 2009
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