lundi 19 avril 2010

La raison ennemie de l’émotion ? Pas sûr !

« Il est plus utile de savoir faire du vélo que de savoir pourquoi il est possible de monter sur un vélo. En musique, c’est la même chose. » C’est le compositeur et théoricien américain Leonard Meyer qui le dit, et ses propos sont repris par Elizabeth Hellmuth Margulis, de l’Université d’Arkansas, dans la revue Psychology of music. La dame se demande s’il est utile de lire les notes de programme, ou d’écouter à la radio les explications du présentateur pour apprécier la musique. Pour étayer son argumentation, elle a d’abord fait écouter à seize musiciens vingt-quatre extraits des Quatuors à cordes de Beethoven. La moitié de ces extraits était précédée d’une explication dramatique (« L'ouverture évoque un chant profond»), l’autre d’un commentaire structurel (« Cette pièce commence sur un tempo lent, soutenu par des accords, etc. »). Les seize cobayes ont spontanément préféré les morceaux assortis du commentaire structurel. Concernant le public non averti, elle est plus radicale encore : « Quand on explique aux gens ce qu’ils vont entendre, ils font tellement d’efforts pour établir un lien entre la musique et son explication qu’ils n’arrivent plus à sentir les rapports subtils entre les notes, et donc à prendre du plaisir. » Pour finir, Mrs Margulis sauve tout de même du chômage les animateurs, journalistes et autres musicographes : « On peut cependant admettre, écrit-elle, que les notes de programmes concernant, par exemple, le compositeur et son environnement culturel soient plus propres à améliorer la jouissance de l’auditeur que les descriptions de la musique. C’est l’approche qu’adoptent le plus souvent les présentateurs de radio, qui nous entretiennent davantage des circonstances de la composition d’une œuvre que de ses spécificités. » Et comme elle est décidément très gentille, elle assure en conclusion que « même si les notes descriptives n'augmentent pas la jouissance de l’auditeur à court terme, elles peuvent le faire à long terme. » Moralité : ceux qui veulent nous faire croire que la connaissance nuit systématiquement à la sacro-sainte émotion n’ont pas forcément raison.

François Lafon

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