vendredi 9 avril 2010

Massacre, ou l’opéra gratté jusqu’à l’os

Pour deux soirs, dans la salle ovale de la Cité de la Musique transformée en théâtre, on joue un opéra du compositeur et organiste autrichien Wolfgang Mitterer, lequel tente à la fois de remonter aux sources du genre et d’en atteindre l’essentiel. Rien que ça ! Cela s’appelle Massacre, avec pour matériau de départ Massacre à Paris, la pièce plus élisabéthaine que nature à laquelle Christopher Marlowe travaillait quand il a lui-même été assassiné. En perdant sa localisation, cette transposition à chaud de la Saint Barthélémy (1593, moins de vingt et un ans après les faits) devient une suite de tableaux intitulés Tuerie, Damnation ou Chagrin. Il y a cinq chanteurs et une danseuse, qui jouent le duc de Guise, le roi de Navarre, Henri III, Catherine de Médicis, ou plutôt leur idée, voire leur spectre, filmé en direct et projeté sur un écran à la manière des débuts du cinéma, quand l’image donnait l’impression de passer à travers les acteurs. Peu d’action, sinon la mort et la souffrance qui la précède, le tout porté par une musique raffiné et bourrée de références, jouée par le Remix Ensemble, et sans cesse bousculée, tordue, exacerbée par une électronique elle-même très travaillée (le spectacle fait partie d’un cycle « Multimédia et temps réel »). Pendant une heure-vingt, on prend dans la figure la matière brute autour de laquelle l’opéra s’est développé : la voix poussé jusqu’à ses limites, le corps magnifié et torturé, la transgression des tabous. Plus longtemps, plus appuyé, ce serait fatiguant, mais ainsi, donné avec une sorte de froideur dans le paroxysme par le metteur en scène Ludovic Lagarde, cela démonte assez bien le mécanisme du théâtre élisabéthain, assez proche de celui de l’opéra, qui consiste à prendre le spectateur par surprise, parfois à le faire rire au milieu de l’horreur, ou à lui faire admettre que les codes de jeu les plus invraisemblables sont ceux qui s’approchent le plus de la vraie vie.
François Lafon
Paris, Cité de la Musique, Salle des concerts, 8 et 9 avril à 20 h.

Crédit photo : © João Messias-Casa da Música

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