jeudi 10 décembre 2009

La Vie parisienne : théâtre pauvre, riches idées


Des chanteurs qui jouent comme des acteurs, des acteurs qui chantent comme des chanteurs, des acteurs et des chanteurs qui dansent comme des danseurs, on voit ça à Broadway, à Londres dans le West-end, plus rarement ici. Dans le classique, jamais ou presque. Il y avait bien l’opérette, mais la tradition est perdue, et de toute façon elle était caduque. C’est pour cela que La Vie Parisienne revue par Alain Sachs au Théâtre Antoine est un spectacle réconfortant. Les amateurs de voix fuient à l’entracte, mais comme il s’agit du seul de ses opéras-bouffe qu’Offenbach ait destiné à des acteurs (à un rôle près), les puristes peuvent rester. Ils sont treize sur la scène en désordre, sans décors, avec des costumes oubliés dans les coulisses, et ils font tout : les solos, les chœurs, l’orchestre, le corps de ballet, la figuration, la régie. Jamais ils ne tombent dans le second degré cache-misère à la Savary (Jérôme) ou à la Deschamps (idem), jamais non plus ils ne sacrifient à la convention. Alain Sachs explique que c’est en voyant deux minutes d’archives sur la Compagnie Renaud-Barrault jouant La Vie parisienne qu’il a sauté le pas. Il y a de ça, en effet, dans son travail. Sauf que les Renaud-Barrault pouvaient s’offrir du grand spectacle. Ces jeunes qui savent tout faire (et pas si mal) sont au fond représentatifs du théâtre non subventionné en 2010, où il faut avoir, à défaut de moyens, des idées culottées et de l’énergie à revendre.

mercredi 9 décembre 2009

Fin de la prime à la casse : Citroën offre un bonus Callas


Plan fixe sur une Citroën qui s’éloigne et franchit un pont. Le mot « fin » apparaît. Une voix off féminine annonce que le bonus écologique et la prime à la casse du gouvernement vont bientôt baisser. En fond sonore, Maria Callas chante « Dammi tu forza, o cielo », au 2ème acte de La Traviata : « Donne-moi du courage, ô ciel. Et maintenant il faut lui écrire. Que lui dire ? » Pour une fois, la publicité utilise l’opéra avec un peu de finesse. Nous sommes loin du Barbier de Séville parfumé au café ou de La Reine de la Nuit comptant les grains de riz. A moins qu’il ne s’agisse d’une coïncidence. Comme dit Jean-Luc Godard, qui s’y connait en collages sémantiques : « Avec une musique adéquate, n’importe quelle image prend un relief insoupçonné ».

Mozart sur ordonnance au Massachusetts Hospital


La musique est un médicament, ne pas dépasser la dose prescrite. Aristote en parlait déjà, et avant lui les Mésopotamiens, que l’on crédite d’avoir inventé la musicothérapie. Le dernier en date à saisir le filon est un chirurgien du Massachusetts Hospital (Etats-Unis), pianiste à ses heures, et nommé Claude Conrad. Pour une intervention de routine, le Dr Conrad écoute les Préludes et fugues (lesquels ?) de Bach, une « musique structurante et analytique ». Quand il s’agit en revanche de traiter d’urgence un grand brûlé, il met de la techno ou du rap. Dans l’unité de soins intensifs qu’il dirige, il a testé ses malades : une heure de mouvements lents de Sonates pour piano de Mozart, et voilà que leur pression artérielle diminue, et que les hormones de stress se calment. Il a testé aussi ses confrères : le folk et le death metal ont un peu ralenti leur travail, mais n’ont pas affecté leur précision, alors que Mozart a amélioré cette dernière, sans modifier leur rythme. Mauvais camarade, un de ses collègues-cobayes, le Dr David Rattner, a déclaré que la musique le détend, mais qu’il écoute de tout, et qu’il serait incapable de dire ce qu’il a dans les oreilles quand il est concentré sur son travail. Résultat des observations : le classique est calmant, le moderne dynamisant, et la musique en général bonne pour la santé. Oubli significatif : le Dr Conrad ne se pose pas la question de la consonance et de la dissonance. Le classique, c’est Bach et Mozart. Faire écouter Schoenberg et Boulez à un chirurgien en train d’opérer, c’est exposer le patient à une boucherie indigne des disciples d’Hippocrate.

mardi 8 décembre 2009

Carmen à La Scala : une machine à broyer les metteurs en scène


On nous avait annoncé la chaleur du sud, le poids de la religion, la libération de la femme, la révolte des exclus, la misère de l’enfance dégradée à travers le regard d’Emma Dante la Palermitaine, la metteur en scène qui nous parle de la vraie vie. Et l’on a eu sur Arte, en léger différé de la Scala de Milan, une Carmen proprette et traditionnelle, parsemée d’images propres à ravir les amateurs de dramaturgie prémâchée. Celle qui a fait frémir les Parisiens avec sa compagnie Sud Costa Occidentale au Théâtre du Rond-Point, a été, comme tant d’autres, mise au pas par la machine à broyer l’imagination qu’est l’opéra. De Werner Herzog à Lev Dodine, la liste des victimes est interminable, une des dernières étant le cinéaste Abbas Kiarostami, dont la relecture annoncée de Cosi fan tutte au festival d’Aix n’a pas dépassé un peu dérangeant premier degré. Ironie du sort, cette Carmen était décorée par Richard Peduzzi, qui avec Patrice Chéreau a si bien su être lui-même sans trahir les oeuvres. Peter Brook a bien eu raison, avec La Tragédie de Carmen, de passer au kärcher l’opéra de (grand-)papa. Et si encore cette Carmen scaligère (quel vilain mot !) était musicalement exceptionnelle…

A Nantes, des SDF chanteurs prêts pour la Folle tournée

En vrai, les choristes ne sont pas tous des blondinets de cinéma. A Nantes, le mardi dans une salle prêtée par la Mairie, ce sont des SDF qui se réunissent pour chanter. L’idée est née de la rencontre d’un ingénieur à la retraite et d’un tatoué en galère surnommé le Gaulois, rapport à ses bacchantes façon Assurancetourix. Au début, ils étaient quelques-uns qui venaient chanter la Chanson de l’Auvergnat de Brassens autour du cercueil de leurs copains morts. Et puis ils se sont pris au jeu et ont élargi leur répertoire. Tout n’est pas rose pour autant : par exemple les répétitions ont lieu avant 15 heures, parce qu’après, c’est plus difficile de rester en mesure avec un verre dans le nez. Bon, ils n’ont pas encore de contrat pour la Folle Journée, mais quand même, à la prochaine Fête de la musique, ils vont donner leur premier récital dans un village de Vendée. Comme quoi les voies de la musique sont impénétrables.

A New York, l’opéra ne pardonne pas


A New York, les troupes rivales sortent les couteaux. Le MET et le New York City Opera ? Pas du tout : le Bleecker Opera et l’Amore Opera, tous deux issus de l’Amato Opera, un mini MET de trois cents places situé dans l’East Village. Après la disparition de son épouse et collaboratrice Sally Amato, Anthony Amato, directeur, chef d’orchestre et impresario, a décidé de mettre fin avec Les Noces de Figaro à une aventure commencée en 1948 avec Le Barbier de Séville. On n’imagine pas le nombre de chefs, chanteurs et metteurs en scène qui ont fait leurs débuts dans ce théâtre de poche où l’on n’hésitait pas à monter le répertoire le plus exigeant, avec quatre bouts de bois, un impeccable professionnalisme et une naïveté qui serait qualifiée chez nous de ringardise. L’Amato était soutenu par la ville et par la communauté italienne de New York, qui trouvait là un symbole de sa participation à la vie culturelle de son pays d’adoption. Or voilà que le Bleecker Opera, créé par Irene Kim, la nièce d’Anthony Amato, revendique haut et fort l’héritage, tandis que l’Amore Opera, dirigé par Nathan Hull, qui fut pendant dix ans baryton, metteur en scène et webmaster (sic) chez les Amato, se targue d’être le véritable dépositaire de l’esprit-maison. Le Bleecker ouvre sa première saison avec L’Amour des trois Rois, une rareté d’Italo Montemezzi, alors que l’Amore débute plus classiquement la sienne avec La Bohème de Puccini. Transferts, trahisons, passages d’une troupe à l’autre se multiplient. L’affaire prend des allures de Roi Lear chez les Sopranos ou d’East Village Side Story. Qu’attendent Martin Scorcese ou Woody Allen pour en faire un film, ou, mieux, un opéra ?

dimanche 6 décembre 2009

iPhone : ne coupez pas, le concert va commencer

Une vingtaine d’hommes et de femmes en noir tenant des iPhones et équipés, à chaque poignet, d’un haut-parleur ressemblant à un gros bracelet-montre, deux ordinateurs sur des piédestaux, un chef donnant le départ d’un long accord annonçant un moderne Or du Rhin : sommes-nous à Bayreuth dans un futur hypothétique ? Assistons-nous à une cérémonie initiatique ? Partons-nous à la recherche du son primordial ? Un peu de tout cela : George Essl, le chef, est professeur assistant de génie informatique et de musique à l’Université du Michigan, créateur de l’ocarina App, ou premier instrument de musique pour l’iPhone, directeur du Michigan Mobile Phone Ensemble et co-directeur du Stanford Mobile Phone Orchestra. Les étudiants, eux, ont appris à reproduire sur iPhone le son des instruments traditionnels, ou à en inventer de nouveaux, virtuels, donc sans limites. Après l’Ouverture 1812 de Tchaikovski jouée par mille portables programmés, voici la telephone music au naturel, et dans ses oeuvres. Un grand concert est programmé le 9 décembre. On est prié d’éteindre son portable.

Un sex-symbol nommé Glenn Gould

Glenn Gould, un sex-symbol ? En France, on est toujours resté discret sur la question, la doxa gouldienne étant avant tout transmise par les documentaires (instructifs) de Bruno Monsaingeon et les livres (dévôts) de Jacques Drillon. A Toronto, la ville du reclus des studios, deux cinéastes, Peter Raymont et Michèle Hozer, ont sauté le pas dans leur film Genius Within, the inner life of Glenn Gould (La Vie intérieure de Glenn Gould). Ils ont, « à l’américaine », interviewé amis, amants et collaborateur du pianiste, et tenté d’analyser le phénomène. Leurs conclusions ne sont pas des scoops. Ils parlent de la craquante maladresse et de la passion communicative de Gould, du mélange very exciting d’exhibitionnisme (il adorait être photographié) et de phobie du contact qui le caractérisait, de l’art avec lequel il manipulait les médias. Ils insistent sur sa liaison avec Cornelia Foss, l’épouse du compositeur Lukas Foss, et comparent son pouvoir de séduction à celui de Woody Allen, à ceci près que ce dernier n’a jamais eu un physique de play boy, alors que le jeune Gould était surnommé le Warren Beatty, voire le James Dean du piano. Après tout, la stratégie de Gould - tenir le monde à distance pour mieux le contrôler, être de son temps tout en prétendant s’en extraire - est le B à Ba de la staritude. Reste que durant les cent-dix minutes que dure le film, on voit Gould jouer, parler, vivre. C’est là-dessus qu’insistent les critiques. C’est pour cela qu’on attend le film.

Riccardo Muti : « Rome, unique objet de mon assentiment »


Privé de théâtre depuis son départ tumultueux de la Scala de Milan en 2005, Riccardo Muti vient d’être nommé directeur de l’Opéra de Rome. Il prendra ses fonctions le 3 décembre 2010, en dirigeant Moïse et Pharaon de Rossini. La Ville Eternelle étant, dans le domaine lyrique, considérée comme provinciale - et l’Opéra de Rome ayant frôlé la catastrophe avant que l’état ne lui lance une bouée de sauvetage de quinze millions d’euros -, c’est en apparence un curieux choix de la part de ce chef ****luxe, qui s’apprête par ailleurs à prendre les rênes du très riche Orchestre Symphonique de Chicago. Quelle revanche, en réalité ! Puisque la Scala est tombée aux mains des étrangers (Stéphane Lissner, Daniel Barenboim), puisque cette saison encore, Bizet, Mozart, Janacek, Wagner, Berg et Gounod n’y laissent qu’un strapontin à Rossini, Verdi et Donizetti, Muti, star internationale mais nationaliste en art comme en politique, prend la tête de l’opposition, dans un théâtre 100% italien. Il va sans dire que les élus romains (le maire, Gianni Alemanno en tête, membre du parti de Silvio Berlusconi Popolo della Libertà) se frottent les mains d’avance, le seul nom du chef étant, en plus, censé faire bourse délier à des sponsors jusqu’ici réticents. Si Visconti était encore vivant, il en ferait un film.

samedi 5 décembre 2009

Grammy Awards : des goûts et des couleurs…

Catégories 95 à 107 sur 109, après « Best Remixed Recording » et avant « best music video » : c’est la place de la musique classique dans la liste des nominés aux 52èmes Grammy Awards, les grands prix du disque aux Etats-Unis. A la cérémonie des nominations, le 2 décembre à Los Angeles (la proclamation du palmarès aura lieu le 31 janvier), les artistes classiques ne sont pas venus : ils passaient trop tard. On peut, après cela, trouver tous les défauts aux Victoires de la Musique Classique : elles, au moins, sont diffusées en prime time à la télévision. De même que les Victoires sont franco-françaises, les Grammy sont américano-américains : on y trouve le Concerto pour piano d’Esa-Pekka Salonen avec l’Orchestre de … Los Angeles, la 8ème Symphonie de Mahler par James Levine et le Symphonique de Boston, la Messe de Leonard Bernstein par Marin Alsop et l’Orchestre de Baltimore, L’Enfant et les Sortilèges de Ravel par Alastair Willis et l’Orchestre de Nashville, les chanteurs Renee Fleming, Susan Graham et Lorraine Hunt, et parmi les compositeurs, les « néos » George Crumb, Jennifer Higdon, Arvö Pärt, Roberto Sierra et Yehudi Wyner. La musique a beau être un langage universel, les goûts et les couleurs en matière d’interprétation sont décidément affaires de clochers.