vendredi 16 avril 2010

Disparition de Werner Schroeter. Divine décadence…

C’était l’époque où les metteurs en scène de théâtre entreprenaient le lifting du vieil opéra. Tandis que le Palais Garnier affichait Les Noces de Figaro dans la mise en scène de Giorgio Strehler, on allait au Studio Galande se repaître de La Mort de Maria Malibran (tourné en 1971). Vamps fanées maquillées comme Joel Grey dans Cabaret (le film de Bob Fosse, tout juste sorti), mélange d’airs d’opéra et de rock underground. L’auteur : Werner Schroeter, porte-drapeau, avec Rainer-Werner Fassbinder, Werner Herzog, Daniel Schmid et quelques autres, du « nouveau cinéma germanique ». Après cela, ce roi du kitsch protestataire réalisera des films à la gloire de l’Italie décadente (Le Règne de Naples, Palermo), s’illustrera dans des Conversations avec Michel Foucault (Gallimard) et fera des infidélités à ses égéries Magdalena Montezuma et Christine Kaufman avec des actrices telles Isabelle Huppert et Carole Bouquet, qu’il filmera en 1996 en compagnie de la diva Anita Cerquetti dans Poussière d’amour. Ironie du sort : celui qui maniait l’opéra comme une arme culturelle et considérait Maria Callas comme « une messagère entre Dieu et l’homme » a donné des mises en scène d’un grand nombre d’ouvrages lyriques (Luisa Miller de Verdi, Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, Fidelio de Beethoven, Intolleranza de Nono) qui ne resteront pas dans les annales. A Paris, il a monté à l’Opéra Bastille en 1994 une Tosca glaciale et grandiloquente, mais qui n’a pas quitté le répertoire : on pourra la revoir en avril 2011.
François Lafon

jeudi 15 avril 2010

Vous prendrez bien un peu de Carl Nielsen ?

« Carl Nielsen ? Connais pas ! » Maintenant que les symphonies de Mahler, Bruckner et même Chostakovitch constituent des piliers de répertoire pour les orchestres français, pourquoi ne pas essayer celles du compositeur danois ? Certes, mais il y a du travail encore avant qu’il ne devienne un nouveau favori des mélomanes français : l’Orchestre de Paris n’a pas fait Salle Pleyel comble pour jouer sa Cinquième symphonie. Dommage, car après un bon Concerto pour violoncelle d’Elgar avec Alisa Weilerstein, l’œuvre a fait un tabac. La musique de Nielsen (1865-1931) est déroutante pour ceux qui aiment mettre les compositeurs dans des cases chronologiques et esthétiques bien précises : il n’est ni un romantique attardé ni un moderniste mais un peu tout à la fois. Dans cette Cinquième symphonie, une vraie rareté en France, on trouve ainsi des fugues tout ce qu’il y a de plus classiques à côté d’un étonnant solo pour caisse claire qui éclate en plein milieu du premier mouvement et donne l’impression d'une improvisation de jazz. Hétérogène ? Mahler l’est tout autant et on s’y est bien habitué. Ce qui manque probablement, ce sont les chefs capables de défendre cette musique avec l’intelligence d’Osmo Vänskä qui, aux commandes de l’Orchestre de Paris, fait des merveilles. Difficile à dire si l’on pourra entendre à nouveau Nielsen à Paris : le compositeur a disparu de la saison 2010-2011 de l’orchestre.
Pablo Galonce

Paris, Salle Pleyel, 14 avril 2010

mercredi 14 avril 2010

Lauritz Melchior et le thon rouge

Fin d’une ère : la Lauritz Melchior Heldentenor Foundation met la clé sous la porte, et lègue son fonds (1,1 milliards de dollars, tout de même) au Metropolitan Opera de New York. Moins grave que le refus du Japon d’arrêter la pêche au thon rouge ? Peut-être, mais un peu du même ordre. Melchior avait lui-même créé cette fondation en 1964, avec l’aide de la Juilliard School, dans le but de contribuer à la recherche et à la formation de heldentenoren (ténors héroïques) dans son genre, un genre déjà bien atteint à l’époque. L’entreprise était généreuse, mais un peu folle : il s’agissait d’arrêter le temps, de refuser d’admettre que le ténor wagnérien au souffle de forge et à la carcasse de géant était un spécimen en voie de disparition, que Wagner était désormais condamné à être chanté par des humains normaux (ou presque). Les responsables de la fondation, qui approchent aujourd’hui des quatre-vingt-dix ans, reconnaissent que depuis une dizaine d’années, ils n’ont travaillé qu’à perpétuer le souvenir du grand homme, à gérer sa discographie, à classer ses photos. Mais avant, du vivant de Melchior (disparu en 1973, deux jours avant ses quatre-vingt-trois ans) et durant cette fin de siècle, période de basses eaux pour le chant wagnérien ? La Fondation a couronné Dennis Heath, Ian DeNolfo et quelques autres, dont on n’a plus entendu parler. Il n’y a guère que William Cochran qui ait fait une petite carrière. « Si l’on n’agit pas, le Heldentenor va s’éteindre, comme l’oiseau dodo », disait Melchior. S’il avait su qu’un jour, les représentations seraient filmées, et que l’on demanderait à Tristan et à Siegfried d’avoir, en plus, le physique de l’emploi…
François Lafon

mardi 13 avril 2010

EMI dans le rouge. Et le disque, au musée ?

Ce ne sont plus les studios d’Abbey Road qui risquent d’être vendus par appartements, mais la société EMI elle-même. L’éditeur des Beatles et de Yehudi Menuhin doit 3,2 milliards de livres sterling au monstre financier américain Citigroup, qui lui demande de verser un acompte de 120 millions avant le mois de juin, sous peine d’en prendre le contrôle et de la revendre par lots. Pour éviter la catastrophe (et empocher 200 millions de livres), EMI, via son actuel propriétaire le fonds d’investissement anglais Terra Firma, a proposé à Sony et à Universal de prendre son catalogue en licence sur le marché américain. Les deux majors companies ont refusé, sans doute refroidies par la lutte à mort qui oppose Citigroup et Terra Firma, celle-ci accusant celle-là de l’avoir escroqué (alors que celle-là finançait celle-ci) lors du rachat d’EMI en 2007. En février, Abbey Road a été classé monument historique, ce qui a fait la joie des nostalgiques, mais n’a pas arrangé les affaires d’EMI, qui comptait se renflouer en revendant le site. Qui soutiendra, après cela, que le disque n’est pas voué à finir au musée ?
François Lafon

dimanche 11 avril 2010

Mignon à l’Opéra Comique : la nostalgie, camarade

2062ème représentation de Mignon à l’Opéra Comique. Quel succès ! Mais seules nos grands-mères s’en souviennent. Créé en 1866, l’ouvrage fête sa centième huit mois plus tard, sa millième en 1894, sa deux-millième en 1955. Puis, assez vite, plus rien. On en veut à Ambroise Thomas d’avoir ravalé Goethe (Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister) au rang d’un auteur de gare, d’avoir déposé de la musique facile le long de (ce qu’il reste de) ses vers, d’avoir même inventé un happy end pour « ne pas se priver de 700 ou 800 représentations supplémentaires ». Le reproche n’est pas nouveau : en 1893, Debussy traînait dans la boue ses confrères Gounod et Massenet, qui avaient transformé Faust et Werther en romances pour boutiquiers. Aujourd’hui, ce n’est plus au mélomane petit bourgeois que l’on s’adresse, mais au philologue : comme à l’époque, on joue la version originale avec textes parlés, l’orchestre est tourné vers la scène - ce qui fait que François-Xavier Roth dirige face au public - et le happy end est conservé, alors que Thomas lui-même a composé une version alternative plus conforme à Goethe. Comme la mise en scène de Jean-Louis Benoit dépoussière la tradition sans la jeter aux orties, comme la direction est alerte et que la distribution frôle le sans faute, cela fonctionne, et ces trois heures de roman feuilleton lyrique passent sans trop se faire sentir. Traité ainsi, ce Mignon d’un autre âge vaut bien des fadaises qui n’ont jamais quitté le répertoire, et l’Opéra Comique honore son cahier de charges. A l’opéra, la nostalgie n’a jamais fini de faire recette.

François Lafon

Ambroise Thomas : Mignon. Avec Marie Lenormand, Ismael Jordi, Malia Bendi-Merad, Nicolas Cavallier. Chœur Accentus, Orchestre Philharmonique de Radio France, François-Xavier Roth (direction), Jean-Louis Benoit (mise en scène). A l’Opéra Comique, Paris, les 12, 14, 16, 18 avril.

Crédit photo : Elisabeth Carecchio

samedi 10 avril 2010

La musique pollue, une étude le prouve

On n’y pense pas toujours, mais la musique, c’est polluant. Une étude, entreprise par l’Université d’Oxford (Environmental Change Institute by Julie's Bicycle), révèle que l’industrie musicale britannique a dégagé, en 2007, 540 000 tonnes de gaz à effet de serre, et que l’empreinte carbone de la dernière tournée mondiale du groupe de rock U2 équivaut à un aller et retour sur Mars. Cela concerne davantage les concerts « tout électrique », avec éclairages stratosphériques, instrumentarium branché sur le secteur et baffles crachant la mort, qu’une soirée de lieder, où la Castafiore et Monsieur Wagner n’ont besoin que d’une estrade, d’un piano et de quelques projecteurs. N’empêche qu’en termes d’enregistrement, d’édition et de packaging, un CD classique n’est pas moins salissant qu’un autre. En gros, 43% des 540 000 tonnes en question sont dus aux tournées de musique populaire, 23% aux concerts en salle, et 26% à l’enregistrement et à ses filières. « Il existe des nuances entre les différents marchés de la musique, qui affectent la pertinence des réponses », déclarent les auteurs de l’étude, lesquels entreprennent maintenant de s’attaquer au théâtre et aux arts plastiques. L’Allemagne et les Etats-Unis s’adapteraient au même schéma, compte tenu des spécificités locales. Et la France ? Peut-on espérer qu’une tournée d’Olivia Ruiz soit moins dangereuse que celle de U2, et que l’Opéra Bastille pollue moins que Covent Garden ? En Angleterre, Sting et Peter Gabriel ont promis de faire attention. Mais attention à quoi ? Via Tchnernobyl, la pollution a succédé à la bombe dans la fonction de grande peur de ce début de siècle. Ne dites plus d’un artiste qu’il brûle les planches, il serait assujetti à la taxe carbone (enfin, si elle existe un jour) !

vendredi 9 avril 2010

Massacre, ou l’opéra gratté jusqu’à l’os

Pour deux soirs, dans la salle ovale de la Cité de la Musique transformée en théâtre, on joue un opéra du compositeur et organiste autrichien Wolfgang Mitterer, lequel tente à la fois de remonter aux sources du genre et d’en atteindre l’essentiel. Rien que ça ! Cela s’appelle Massacre, avec pour matériau de départ Massacre à Paris, la pièce plus élisabéthaine que nature à laquelle Christopher Marlowe travaillait quand il a lui-même été assassiné. En perdant sa localisation, cette transposition à chaud de la Saint Barthélémy (1593, moins de vingt et un ans après les faits) devient une suite de tableaux intitulés Tuerie, Damnation ou Chagrin. Il y a cinq chanteurs et une danseuse, qui jouent le duc de Guise, le roi de Navarre, Henri III, Catherine de Médicis, ou plutôt leur idée, voire leur spectre, filmé en direct et projeté sur un écran à la manière des débuts du cinéma, quand l’image donnait l’impression de passer à travers les acteurs. Peu d’action, sinon la mort et la souffrance qui la précède, le tout porté par une musique raffiné et bourrée de références, jouée par le Remix Ensemble, et sans cesse bousculée, tordue, exacerbée par une électronique elle-même très travaillée (le spectacle fait partie d’un cycle « Multimédia et temps réel »). Pendant une heure-vingt, on prend dans la figure la matière brute autour de laquelle l’opéra s’est développé : la voix poussé jusqu’à ses limites, le corps magnifié et torturé, la transgression des tabous. Plus longtemps, plus appuyé, ce serait fatiguant, mais ainsi, donné avec une sorte de froideur dans le paroxysme par le metteur en scène Ludovic Lagarde, cela démonte assez bien le mécanisme du théâtre élisabéthain, assez proche de celui de l’opéra, qui consiste à prendre le spectateur par surprise, parfois à le faire rire au milieu de l’horreur, ou à lui faire admettre que les codes de jeu les plus invraisemblables sont ceux qui s’approchent le plus de la vraie vie.
François Lafon
Paris, Cité de la Musique, Salle des concerts, 8 et 9 avril à 20 h.

Crédit photo : © João Messias-Casa da Música

jeudi 8 avril 2010

Actes Sud marie le son et l’image

C’est entendu, le CD vit ses dernières heures. Non seulement les ventes reculent mais surtout la tendance est à la dématérialisation. Grâce à l’iPod et autres baladeurs numériques, on achète (ou l’on pirate) de plus en plus de mp3 et de moins en moins de galettes. Demain, probablement, on paiera un abonnement façon Canal + pour écouter de la musique.
Pourtant, dans le classique, une autre tendance gagne du terrain : le retour du disque bel objet. Ce ne sont pas uniquement les nostalgiques des vinyles et de leurs magnifiques pochettes qui sont les cibles de ce nouveau marché, ce sont aussi ceux pour qui un disque est un objet culturel, et non un objet de consommation jetable. Jordi Savall l’a bien compris et chacun de ses enregistrements pour son propre label discographique, Alia Vox, est accompagné d’un épais livret richement illustré et commenté. Et si Harmonia Mundi résiste mieux à la crise que d’autres éditeurs, c’est non seulement par la qualité de ses interprètes mais aussi par le soin apporté au contenant.
Cela a donné des idées à Actes Sud. Dans son catalogue, on trouve un bon nombre de livres sur la musique. Mais il devient désormais éditeur discographique avec une nouvelle série, « Images en Musique » : un livre de photos plus un disque, sans oublier un texte de présentation. Les deux premiers volumes réussissent pleinement cette complémentarité entre son et images. On peut écouter les pièces pour piano de l’Ecole de Vienne jouées par Jean Louis Steuermann tout en suivant les fantasmagories du photographe Américain Michael Ackermann, maître du grain et du flou, ou bien, à l’opposé, s’éblouir avec l’Ibéria d’Albéniz dans l’interprétation lumineuse de Jean-François Heisser tout en se laissant ensorceler par les images éclatantes d’une Espagne de taureaux et de flamenco signées Isabel Muñoz. Qui a dit qu’il ne restait rien à inventer dans le disque classique ?
Pablo Galonce

mercredi 7 avril 2010

Leonard Slatkin pris au piège de La Traviata

“Vergogna!” (Honte!), aurait lancé Toscanini à Leonard Slatkin. Engagé au Metropolitan Opera de New York pour diriger une reprise de l’opéra (américain) de John Corigliano The Ghosts of Versailles, celui-ci apprend au dernier moment que, par mesure d’économie, c’est La Traviata qui sera affiché, dans la vieille mise en scène de Franco Zeffirelli. Maestro Slatkin (qui pourrait devenir le prochain directeur musical de l'Ochestre National de Lyon) n’a jamais dirigé l’opéra de Verdi, mais il sait son métier, l’orchestre et les chanteurs (l’ombrageuse Angela Gheorghiu en tête) sont des habitués de l’ouvrage, et puis La Traviata a l’air moins difficile que Lulu ou La Femme sans ombre. Lourde erreur : le 29 mars, soir de la première, rien ne va. Décalages, imprécisions, catastrophe évitée de justesse dans le grand ensemble concertant du 2ème acte. Le chef déclare forfait pour les représentations suivantes, où il sera remplacé successivement par Marco Armiliato, Steven White et Yves Abel, des gens qui sont loin d’avoir sa notoriété, mais qui ont l’habitude de diriger ce répertoire. Après tout, il est peut-être aussi difficile de rendre expressif le « oum-pa-pa » récurrent produit par l’orchestre pour soutenir les chanteurs que de mettre en place les lignes compliquées de Strauss, de Berg … ou du dernier Verdi, celui d’Otello ou de Falstaff. Mais, sauf à avoir un Riccardo Muti au pupitre, ce n’est pas sur le nom du chef que l’on remplit une salle pour La Traviata.

Crédit photo : Donald Dietz/Detroit Symphony Orchestra

lundi 5 avril 2010

Le Quatuor de Jérusalem, un nom à haut risque

Concert de midi au Wingmore Hall de Londres, lundi 29 mars. Enregistré live par BBC 3, le Quatuor de Jérusalem (fondé en 1993) joue le Quatuor K 575 de Mozart. Dix minutes après le début, une dame se lève, et d’une voix de soprano se lance dans un air vengeur d’où émergent les mots « Jérusalem occupé », « état ségrégationniste » et « attaque de Gaza ». Dix minutes plus tard, nouvelle interruption, venue d’un autre endroit de la salle. Les musiciens arrêtent de jouer et discutent avec les trublions : « Nous ne représentons pas davantage le gouvernement israélien que le Wingmore Hall ne représente le Royaume-Uni ». Ce n’est pas la première fois que cela leur arrive. En août 2008, à Edimbourg, ils avaient déjà été chahutés par des membres du Scottish Palestine Solidarity Campaign. On leur reproche le nom qu’ils se sont choisi, comme on reproche à l’Orchestre Philharmonique d’Israël d’être le porte drapeau de l’état hébreux. Pour preuve, on peut lire sur le site du Jerusalem Music Center que « les quatre membres du Quatuor ont rejoint les forces de la défense d’Israël en mars 1997 et ont servi en tant que musiciens distingués ». Réplique des musiciens : « Tous les citoyens israéliens sont tenus de faire leur service militaire ». Et de préciser qu’un seul d’entre eux est né sur le sol israélien, et que parmi eux, il y en a un qui vit à Berlin et un autre au Portugal, avant d’asséner l’argument choc : « Deux d’entre nous sont membres réguliers du West-Eastern Divan Orchestra, dirigé par Daniel Barenboim, où l’on trouve des musiciens israéliens et palestiniens ». Moralité : si le Quatuor de Jérusalem s’appelait Sine Qua non ou Sine Nomine, ce genre de mésaventure ne lui arriverait pas. Mais les deux noms sont déjà pris.

Pour écouter le Quatuor de Jérusalem : Chostakovitch : Quatuors n° 6, 8 et 11 de Chostakovitch – Schubert : Quatuor « La Jeune fille et la Mort » (Harmonia Mundi)

Crédit photo : Marco Borggreve/Harmonia Mundi