mercredi 31 mars 2010

Quand les Sacqueboutiers de Toulouse rencontrent les Clément Janequin

La Renaissance est leur royaume, mais à chacun sa spécialité : la musique vocale pour l’ensemble Clément Janequin de Dominique Visse, les instruments à vent pour Les Sacqueboutiers de Toulouse de Jean-Pierre Canihac. Pour les réunir, ce concert des Rencontres des Musiques Anciennes de Blagnac : autour de Rabelais, des extraits de Gargantua offrent un canevas aux musiques de Clément Janequin, Lassus ou Sermisy. Pour Dominique Visse et ses acolytes, rien de nouveau, c’est le répertoire qu’ils cultivent depuis leur création. La nouveauté ici c’est justement qu’ils sont rejoints par les instruments des Sacqueboutiers, un cornet à bouquin, une chalémie (l’ancêtre du hautbois), une saqueboute (grand-père du trombone), un basson, plus une organiste/claveciniste et un percussionniste.
Sur la scène, les musiciens des Sacqueboutiers, tout de noir habillés, sont derrière les cinq chanteurs des Clément Janequin, vêtus, eux, d’un simple habit de moine, pieds nus. Un comédien, habillé, lui, comme le fou du Roi, est chargé de lire les textes. C’est un mélange inattendu : au XVIè siècle, les « hauts » instruments à vent sont utilisés pour accompagner la musique des offices ou les grands occasions, pas pour mettre de la couleur dans les chansons polyphoniques. Tout ceci est parfaitement « inauthentique » mais musicalement complètement réussi. Grâce a ces subtiles combinaisons entre voix et instruments, ce concert-lecture est bien plus qu’une simple farce gargantuesque (même si on rit beaucoup) une vraie découverte musicale. On découvre que les quatre instruments « hauts » ne servent pas uniquement à donner de la voix, mais qu’ils sont aussi capables de chanter, de chuchoter, de caresser. Comme soutien des voix, ils savent se fondre dans le style si particulier des Janequin et trouver même une dimension comique dans leur jeu. Pour chaque page, un accompagnement sur mesure, sauf pour la Chasse de Janequin où aucun instrument peut rivaliser avec le génie des Janequin pour traduire ce festival d’onomatopées et d’effets spéciaux.
Pablo Galonce

Blagnac, le 21 mars. www.odyssud.com 

Crédit photo : (c) Patrice Nin

lundi 29 mars 2010

Martha Argerich, reine du mystère

Une biographie, c’est en soi un exercice de haute voltige. Mais quand il s’agit de la biographie d’un interprète, le risque est décuplé. Quel plan adopter ? Quelle méthode suivre ? Impossible de jongler avec le schéma vie-œuvre (ne serait-ce que pour le refuser), comme pour un écrivain ou un compositeur. Dans Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, Olivier Bellamy esquive habilement les précipices. Qu’est-ce qui fait de Martha Argerich une artiste à part ? Sa façon de jouer du piano, d’abord, sa vie ensuite, ou le contraire ? La vie, ce livre la détaille période par période, on serait tenté d’écrire acte par acte. Tout y est, plaisamment raconté, avec des détails qui serviront de références, car la dame est une reine de l’esquive, et ne se laisse surprendre que par quelques élus prêts à la suivre dans ses errances. Comme sa vie est un roman, comme ses rencontres et tribulations sont à la hauteur de sa personnalité, on ne s’ennuie pas. Les fans apprécieront, et même se délecteront. Les autres liront cela comme un roman, justement, sans trop s’arrêter à tout ce qui nécessite une bonne connaissance préalable des milieux de la musique en général et du piano en particulier. C’est pour eux, probablement, que l’auteur multiplie les superlatifs, comme pour bien indiquer que tous les acteurs de cette histoire sont des oiseaux rares. Une fois le livre refermé, vient la double question : en quoi cette artiste est plus intéressante qu’une autre, en quoi mérite-t-elle qu’on lui consacre une telle somme ? Là, il faut écouter les disques, ou – mieux dans le cas de cette grande instinctive – aller l’écouter en live. En fait, ce genre de livre sert à cela : entretenir le mystère.

François Lafon

Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, par Olivier Bellamy. Buchet-Chastel - 272 pages, 23 euros.

Jean-Efflam Bavouzet, un pianiste qui ne se la joue pas

Quand il joue du piano, Jean-Efflam Bavouzet ne se la joue pas. C’est l’impression que l’on a en sortant du Théâtre de la Ville, où il vient de donner un récital à haut risque. Au programme, trois morceaux de bravoure que n’aurait pas désavoués Sviatoslav Richter : la 31ème Sonate de Haydn, un de ces chefs-d’œuvre qui - comme le disait Richter - n’a l’air de rien mais va tellement plus loin que les pièces pour clavier de Mozart, Gaspard de la Nuit de Ravel et la redoutable 6ème Sonate de Prokofiev, créée sous les doigts d’acier du compositeur et défendue par … Richter, qui y déployait son écrasante virtuosité. Bavouzet, lui, intrigue son public avec Haydn, le terrifie avec Ravel et l’anéantit avec Prokofiev. La salle, bondée, en redemande, et a droit en bis à Reflets dans l’eau de Debussy (alors que Prokofiev, rappelle l’artiste, ne sauvait que Ravel parmi les musiciens français) et à la Toccata de Massenet (mais oui, trois minutes qui en disent plus que Manon tout entier). Le pianiste n’a pas exactement les moyens d’un Richter, mais chaque son qu’il produit respire l’intelligence, la culture, l’humour aussi. Inexplicable, mais évident. On en oublie même la sonorité ingrate du Yamaha (tiens, comme Richter) qu’il a choisi. Comme il ne se la joue pas, mais prend tous les risques et nous entraîne sur son manège fou, il nous console de toutes les vessies médiatiques que l’industrie musicale tente de nous faire prendre pour les lanternes salvatrices.

samedi 27 mars 2010

La fièvre monte à l’Orchestre de Lyon

« Quand l’amour va, tout va », ce qui n’est pas le cas à Lyon entre le directeur administratif de l’Orchestre National, Laurent Langlois, et son directeur musical, Jun Märkl. On a d’abord cru qu’il s’agissait d’un choc de personnalités, de la rencontre explosive d’un maestro jaloux de ses prérogatives (son arrivée à la tête de l’Orchestre ne s’était pas passée sans remous) avec un patron engagé par la mairie pour dépoussiérer l’institution. Venu de Rouen, Laurent Langlois s’est notamment fait un nom en conférant au festival Octobre en Normandie une aura iconoclaste qui n’était pas pour déplaire aux édiles locaux et nationaux. A Lyon, il a été accueilli comme le Grand Méchant Loup, et s’est apparemment ingénié à mériter ce titre, en imposant ses hommes, en ne regardant pas à la dépense, en faisant passer ses réformes à la hussarde au lieu d’optimiser les forces en présence. Lyon Capitale.fr précise que si le contrat de Jun Märkl est consultable sur Internet, celui de Laurent Langlois ne l’est pas. Ambiance.
Dernier chapitre en date de la guerre des nerfs : l’engagement d’une directrice de la Communication derrière le dos de Märkl, lequel n’a déjà pas apprécié que sa photo sur le programme de la saison prochaine soit remplacée par … la tête de Guignol. Résultat : dépôt d’un recours devant le Tribunal administratif. Bon, ce n’est pas la première fois qu’une bataille de chefs pourrit la vie d’une institution : on se rappelle celle qui a opposé Hugues Gall et Myung-Whun Chung à l’Opéra de Paris, et qui s’est terminée (assez rapidement, heureusement) par le départ du second. Ce sera le cas à Lyon, puisque Märkl n’a pas renouvelé son contrat, qui se termine fin 2011. En attendant, les habitants du quartier de La Part-Dieu vérifient chaque matin si l’Auditorium est toujours debout. On se demande ce que le chef américain Leonard Slatkin, qui avait été approché avant l’arrivée de Langlois pour prendre les rênes de l’Orchestre, pense de tout cela.

vendredi 26 mars 2010

Drôle de Requiem pour Wolfgang Wagner

« Sans les Wagner et leurs scandales, le festival serait moins drôle», écrit l’historienne autrichienne Brigitte Hamann dans son livre sur Bayreuth et les nazis. Elle résume en tout cas les commentaires parus à l’occasion de la mort de Wolfgang, petit-fils de Richard et directeur du Festival pendant cinquante-sept ans. « S'il aimait se donner des airs de paysan bavarois, parlant une sorte de patois franconien qui plongeait le germanophone le plus aguerri dans des abîmes de perplexité, il était aussi un homme rusé et très cultivé. Il sut ainsi ouvrir Bayreuth à la modernité en osant recruter dès 1969 des metteurs en scène en dehors de la famille Wagner », consent Christian Merlin dans Le Figaro. On ne trouve ailleurs que fustigation de son despotisme, et rappel de la guerre de succession qui a fini, de son vivant même, par mener deux de ses filles de lits différents (Eva et Katharina) à la tête de l’entreprise familiale. Dans son blog Slipped Disc (Hernie discale), le critique anglais Norman Lebrecht perd toute mesure : « La mort de Wolfgang Wagner, annoncée dimanche soir, met fin à Bayreuth à une ère post-guerrière presque aussi déplaisante que le nazisme ». Quant à l’animatrice du blog déjanté Opera Chic, elle frappe elle aussi très fort, mais avec plus de finesse, en faisant suivre une citation de Lebrecht d’un extrait de l’Adagio de la Septième Symphonie de Bruckner sous la baguette de Wilhelm Furtwängler, la musique diffusée par Radio Berlin à l’annonce de la mort d’Hitler. Ce que l’on reproche avant tout à Wolfgang, c’est d’avoir survécu plus de quarante ans à son frère Wieland, lequel avait lui aussi sauté sur les genoux du Führer, mais possédait beaucoup plus de talent comme metteur en scène, et par là même avait davantage contribué à rendre de nouveau fréquentable l’œuvre de leur grand-père. Dans La Tétralogie, un des géants qui ont construit le Walhalla tue son frère pour ne pas avoir à partager l’Or du Rhin avec lui. Allez faire comprendre aux wagnériens que le monde selon leur idole n’est qu’un délire d’artiste.

jeudi 25 mars 2010

John Cage à l’Ircam : 4’33’’ qui ont changé le monde

En 1967, dans sa pièce Le Silence, Nathalie Sarraute met en scène un homme qui ne dit rien, ce qui provoque une véritable panique dans son entourage. Quinze ans plus tôt, John Cage compose 4’33’’, une pièce en trois mouvements pour « n’importe quel instrument, ou combinaison instrumentale », puisqu’elle est totalement silencieuse. La panique initiale débouchera sur un déluge de commentaires oraux et écrits, que l’Ircam prolonge le 25 mars au Centre Pompidou en soumettant au jeu des portraits chinois ces presque cinq minutes parmi les plus tonitruantes de l’histoire de la (non) musique. Des compositeurs (Bruno Mantovani, James Dillon, Roque Rivas) présentent des œuvres s’inscrivant dans la postérité du chef-d’oeuvre, tandis que des philosophes (Elie During, Bastien Gallet), des historiens et des écrivains planchent sur des « pistes » qui déboucheront sur des exposés en trois mouvements, et d’une durée de quatre minutes et trente-trois secondes. Parmi les sujets, on relève : « 4’33’’ est un tube qui est dans toutes les têtes », « 4’33’’ est une oeuvre écologique », « 4’33’’ est une œuvre idiote », « 4’33’ est une oeuvre queer », 4’33’ est une prière », « 4’33’’ est une plaisanterie sérieuse », ou « 4’33’’ n’existe pas ». Les organisateurs ne manquent décidément pas d’humour, puisque l’opération est intitulée : « 4’33’’ après J.C ».

Le 25 mars au Centre Georges Pompidou. 19 h : Rencontre « 4’33’’ : portrait chinois » - 20h30 : Concert : créations de Carlos Caires, James Dillon, Bruno Mantovani, Christian Marclay et Roque Rivas. Ensemble Remix, Peter Rundel (dir.)

mercredi 24 mars 2010

Waltraud G., cantatrice et meurtrière présumée

Mais qui est Waltraud G. ? En Allemagne, l’affaire fait du bruit. Cette cantatrice de cinquante-cinq ans, vivant dans le sud du pays, a été arrêté pour le meurtre présumé de son mari, un retraité de seize ans son aîné. Le scandale est d’autant remarqué plus que dans le milieu de la musique classique, ce genre de fait divers arrive plus souvent dans l’imagination des écrivains – de Dominique Fernandez (Porporino) à Donna Leon (Meurtre à La Fenice) – que dans la réalité. Une photo de Waltraud G. circule sur la toile, publiée par le site bild.de, et l’on connaît le nom du mari : Hermann Hills. La dame aurait fait appel à un acteur pour signer chez un avocat et un notaire une procuration en sa faveur, et aurait procédé à un véritable casting pour se trouver un mari de substitution, la plupart des prétendants au rôle ayant finalement déclaré forfait. Apparemment, Waltraud Meier (cinquante-quatre ans), la grande Isolde de ces dernières années, est hors de cause. Mais peut-être que Waltraud G. – dont on ne sait si elle est soprano, mezzo ou contralto - n’existe pas, ou que l’acteur qui s’est présenté chez l’avocat est le véritable mari (son corps n’a pas été retrouvé), lequel aurait tué sa femme et engagé une actrice pour tenir le rôle. Il se peut aussi que la photo ne soit pas la sienne, qu’elle représente l’épouse de l’acteur, elle-même cantatrice, etc. Dommage que Borges ne soit plus là. Il aurait en fait un livret d’opéra. Pour l’instant, la police seule détient les réponses à toutes ces questions. Elle n’en sait pas beaucoup plus, car Waltraud G. ne sort pas de son mutisme. A propos, et si elle n’était pas chanteuse ?

mardi 23 mars 2010

Cabaret contemporain : qui a (encore) peur des musiques actuelles ?

Comme la musique classique, la création contemporaine a besoin de changer d’air et de rajeunir son public. C’est cette constatation qui a conduit Laurent Jacquier - un ancien de Sciences Po Lyon converti à la musique en fréquentant la Folle Journée de Nantes -, à créer Le Cabaret Contemporain. Prise de tête, la contemporaine ? Oui, si vous l’écoutez les mains jointes dans une salle gris béton. Non (ou moins), si vous êtes attablé dans un lieu plus souvent dévolu au jazz ou aux variétés. Rendez-vous donc à l’Archipel et à la Péniche Opéra, mais aussi au Studio Ermitage, au Vent se lève, à La Java. Le concept tient d’autant mieux la route que bien souvent la création, même la plus hard, pose moins de problèmes aux amateurs de nouveautés en tous genres qu’aux accros à Mozart et Beethoven. La programmation de la première saison (quatorze concerts de septembre à juin) ne caresse pas les oreilles dans le sens de la consonance : percussions, improvisation, électroacoustique, musique de chambre, découverte de jeunes compositeurs par des solistes de l’Ensemble Intercontemporain ou par des étudiants du Conservatoire Supérieur, partenaire de l’aventure avec, entre autres, la SACEM et Arte. Cœur de cible : les jeunes de quinze à quarante-cinq ans (c’est flatteur). A l’issue du concert, un DJ s’installe aux platines et fait danser l’assistance sur du Ligeti ou du Stravinsky. Sur le site cabaret-contemporain.com, la page « contacts » est illustré d’une photo de Claude Laydu dans Le Journal d’un curé de campagne, le film de Robert Bresson d’après Bernanos. Est-ce à dire que pour gagner son paradis, il ne faut pas avoir froid aux oreilles ?


Prochains concerts : Duo Links, de Franck Bedrossian (23 mars, Studio de l’Ermitage) – Œuvres de Julien Gauthier (15 avril, Péniche- Opéra) – L’Histoire du Soldat de Stravinsky par l’Ensemble Acouphènes (11 mai, Le Vent se lève) – Jeunes compositeurs présentés par la SACEM (22 juin, Ermitage)
www. cabaret-contremporain.com

lundi 22 mars 2010

Robert Badinter : la mort en chantant

Robert Badinter aime beaucoup l’opéra. Pas étonnant de la part d’un avocat : on s’assassine beaucoup dans le monde lyrique (sur scène bien sûr ; en coulisse, les crimes sont plus métaphoriques). En ce moment, il écrit un livret pour le compositeur Thierry Escaich. Le thème : les dernières heures d’un condamné à mort. Comme il est co-commissaire, avec Jean Clair, de l’exposition « Crime et châtiment » au Musée d’Orsay, il ne sort pas de son sujet. Il a déjà, en 1995, tâté de la scène avec C.3.3, une pièce sur la condamnation d’Oscar Wilde pour homosexualité (C.3.3., c’est le numéro de la geôle de Reading où l’écrivain a été enfermé). Le spectacle a remporté un « succès d’estime », c’est à dire qu’il n’a pas marché, et la pièce, qui tient davantage de la plaidoirie que de l’action dramatique, n’a jamais été reprise. Un livret d’opéra, c’est plus contraignant, mais aussi plus sécurisé. Impossible d’être bavard, la musique, qui ralentit tout, vous oblige à condenser. Difficile d’être dogmatique : la musique, qui travaille dans le sensible, va vous contredire. Interdit de pratiquer le double-sens, le non-dit, le sous-texte : la musique est là pour ça. Envahissante, la musique ? Pas si elle sait dialoguer avec l’action. L’opéra, qui est affaire de dialectique, lui demande avant tout de ne pas faire cavalier seul. Pourquoi ne donne-t-on jamais Pénélope ? Parce que la musique de Fauré est superbe, mais elle roule toute seule, indifférente à ce qui se passe sur scène. En revanche, Paillasse fonctionne très bien, et tant pis pour ceux qui en trouvent (à raison) la musique grossière. Ne voyez dans tout cela aucun non-dit quant à l’association de Thierry Escaich, compositeur spécialisé dans la musique sacrée, avec Robert Badinter, l’homme qui a fait abolir la peine de mort en France. Dans l’imagerie populaire, l’image de la guillotine se découpe souvent sur fond de ciel sans nuage.

Exposition Crime et châtiment. Jusqu’au 27 juin. Paris, Musée d’Orsay.

dimanche 21 mars 2010

A La Scala, un Tannhäuser catalano-bollywoodien


Polémique à la Scala de Milan à propos de la mise en scène du Tannhäuser de Wagner par La Fura dels Baus. Images choc, éclairages virtuoses, vidéos en folie : le collectif catalan déploie son arsenal habituel. Mais la grande idée du spectacle est que la rédemption de l’artiste déchiré entre l’empire des sens et l’aspiration à la pureté passe mieux si l’action est transposée dans une Inde colorée par le folklore bollywoodien. L’argument est recevable : là-bas, on fait encore la route à pied pour aller se purifier dans les eaux du Gange, alors qu’ici, on n’a pas encore vu Michel Houellebecq déguisé en Tannhäuser, se traînant jusqu’à Rome pour recevoir l’absolution papale.
Puisque l’actualisation est à la mode, il faut bien trouver des équivalences culturelles. On a vu à l’Opéra Bastille un Barbier de Séville déplacé par Colline Serreau dans le Maghreb (où l’on enferme encore les filles à marier), à la Cartoucherie un Tartuffe devenu islamiste par les bons soins d’Ariane Mnouchkine, et au Châtelet un Padmâvati (de Roussel) déjà bollywoodien, avec éléphants roses et jeunes premiers gominés. Les civilisations traditionnelles sont décidément bien utiles pour donner un coup de jeune (si l’on ose dire) à des intrigues qui ne sont plus de chez nous. C’est toujours plus raffiné que de transporter la prison de Fidelio à Guantanamo ou le séisme du Roi d’Ys à Haïti. Ce qui a le plus choqué, dans le Tannhäuser de La Scala, c’est la scène filmée où l’on voit Jean-Paul II vouer à l’enfer ceux qui ont commis le péché de luxure. Comme quoi il n’est pas toujours indispensable d’aller jusqu’en Inde pour se retrouver au XIXème siècle.

Wagner : Tannhäuser. Mise en scène : La Fura Dels Baus – Direction : Zubin Mehta – Milan, Scala, les 20, 24, 27, 30 mars, 2 avril.