jeudi 18 février 2010

Sibelius, sympathisant nazi ?

Aux Etats-Unis, la chasse aux sorcières ne sera jamais finie. Voilà que dans Sibelius dans l'Ancien et du Nouveau Monde: Aspects de sa musique, son interprétation, sa réception, un livre qu’il cosigne avec trois de ses collègues, un professeur à l’University of Nord Texas, Timothy L. Jackson, accuse formellement Sibelius de sympathie avec les nazis. Il n’est pas le premier à le faire, mais il avance des arguments chocs : acceptation en 1935 de la Médaille Goethe avec signature d’Hitler à l’appui, pension allemande octroyée à partir de 1941, approbation par le Troisième Reich de la Société Sibelius en Allemagne, interview complaisante donnée à un reporter de guerre SS, refus d’honorer la promesse, faite avant la guerre, d’aider un jeune compositeur juif. Avant même qu’il ne paraisse, le livre provoque une levée de boucliers. « Gardez à l'esprit que nous parlons d'un vieil homme chauve aux mains tremblantes, avec une cataracte à l'œil et qui, probablement, ne savait même pas que les SS existaient », rappelle Vesa Siren, gardien du temple Sibelius en Finlande. Sur la toile, le buzz fait rage : coupable ou non coupable, le champion du nationalisme finlandais, le créateur d’une musique inclassable glorifiant la terre de ses ancêtres et les hauts faits des défenseurs de la patrie ? Quoi qu’il en soit, on risque de ne plus arriver à écouter innocemment Finlandia ou Le Cygne de Tuonela. Comme chez Wagner, comme chez Richard Strauss, on cherchera des signes. Quels signes, et des signes de quoi ? Un unisson de cuivre trop péremptoire, une évocation trop complaisamment nostalgique du folklore nordique, un accord un peu brusque, voire totalitaire ? On risquera d’oublier que lorsqu’Hitler accède au pouvoir, Sibelius est déjà muré dans un silence qui durera jusqu’à sa mort ; que pour recréer de toutes pièces un pays longtemps rayé de la carte, un certain nationalisme se justifie ; qu’aucune musique n’est un appel au meurtre, comme ont pu l’être les pamphlets de Céline, et que c’est par ses écrits (livrets d’opéras compris) et non par sa musique que Wagner véhicule des idées malodorantes ; et enfin que si René Leibowitz, le champion de Schoenberg et du dodécaphonisme, a traité Sibelius de « plus mauvais compositeur du monde », Lucien Rebatet, rédacteur à Je suis partout, l’a défini comme « le plus ennuyeux des musiciens sérieux ». Les extrêmes renvoyés dos à dos. Et si la question demeure, lancinante, on se rappellera la phrase de Proust dans Contre Sainte-Beuve : « L’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n’est pas la même personne ».

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