mercredi 21 octobre 2009

Fellini, opus posthume

Exposition au musée du Jeu de Paume, hommage à la Cinémathèque, livres et DVD : c’est la fête à Fellini. Seize ans après sa mort, le cinéma ne sait toujours pas très bien dans quelle case ranger l’homme aux titres auto-signés (Fellini-Roma, Fellini-Satyricon). On a souvent dit que ses films étaient des opéras sans musique (si ce n’est celle de Nino Rota, qui a écrit des opéras… pour d’autres). Parce qu’il était italien ? Parce que la démesure était devenue sa marque de fabrique ? Il n’a, en tout cas, pas cédé au producteur Daniel Toscan du Plantier, qui voulait faire tourner des « filmopéras » à tout le monde, et y est arrivé avec quelques-uns (Rosi, Comencini, pour ne citer que les Italiens). A deux reprises, Fellini a touché à la musique, ou tout au moins aux musiciens : dans Prova d’orchestra (1979) et E la Nave va… (1983). Ce ne sont pas ses films les plus fêtés. Le premier, qui donne une répétition d’orchestre comme métaphore du monde, a été jugé réactionnaire ; le second, qui raconte le retour par bateau des cendres d’une cantatrice célèbre, trop esthétisant. C’est bien sûr l’occasion de les voir ou de les revoir. Qui prétendra que les caprices d’un maestro omnipotent ne sont plus à l’ordre du jour en Italie, et qu’une croisière people aux relents de cadavre ne parle plus au public de notre temps ?

Tutto Fellini.
Musée du Jeu de Paume : exposition Fellini, la grande parade. Du 20 octobre 2009 au 17 janvier 2010.
Cinémathèque française : rétrospective du 21 octobre au 20 décembre.
Institut Culturel Italien : rencontres, avec le soutien de la Fondation Fellini. Le 16 novembre : leçon de ciné-musique avec Nicola Piovani.

Son Voyage d’hiver



Un bad trip, comme d’habitude, le roman de rentrée Amélie Nothomb (en dix-huit ans, elle en a écrit dix-huit). Mais comme celui-ci s’intitule Le Voyage d’hiver… Schubertiens exclusifs, épargnez vos quinze euros. Cette histoire dont les héros s’appellent Zoïle, Astrobale et Aliénor, cette relation vague entre un kamikaze velléitaire, un(e) agent littéraire et une romancière bizarre est, certes, voyageuse (les avions) et hivernale (ces dames refusent de chauffer leur appartement), mais pas musicale pour un sou. A ce train-là, Le Docteur Jivago (hiver + déplacement de population) pourrait s’intituler Le Voyage d’hiver. Bien sûr, si votre schubertophilie se double d’une nothombolâtrie, vous ne manquerez pas de débusquer dans ce mini-récit (130 pages) de subtiles correspondances entre les ressassements du Voyageur et les délires récurrents de la romancière. En 2003, le cinéaste pour happy few Vincent Dieutre a filmé un voyage initiatique et très contemporain entre Paris et Berlin. Mais son film s’appelle Mon Voyage d’hiver, et on y entend du Schubert.


Le Voyage d’hiver, d’Amélie Nothomb. Albin-Michel, 136 p., 15 euros
Mon Voyage d’hiver, de Vincent Dieutre. 1 DVD Optimale « Rainbow Classics »

mardi 20 octobre 2009

Villazón l'intouchable


« With the bottom of my hearth, euh, from the bottom… I want to thank you”. Plus Mr Bean que jamais, Rolando Villazón annonce son come back sur son site, et remercie tous ceux qui lui ont écrit pour lui souhaiter bon courage pendant son année sabbatique forcée. A la suite de quoi il pousse la note fortissimo et sort du champ en sautant par-dessus son siège. Allez, après ça, faire la fine bouche sur son agitation en scène, reprochez-lui de chanter la main sur le cœur et le cœur sur la main, mettez-le en concurrence avec l’autre ténor du moment, l’élégant Juan Diego Florez. Rien n’y fera. Evitez - au risque de passer pour un rabat-joie - d’insinuer que s’il a eu de grave problèmes vocaux, c’est parce qu’il brutalise sa voix, et que sa technique n’est peut-être pas à toute épreuve. Cela paraîtra aussi déplacé que de rappeler que Pavarotti n’avait pas une silhouette de jeune premier. Il n’y a guère que les ténors pour échapper ainsi à la critique, pour entretenir avec leur public un rapport de pop star à groupies. « Touche pas à mon ténor » , préviennent les villazonophiles. Promis, on essaiera.

lundi 19 octobre 2009

Jeu de mains



Voir jouer Alicia de Larrocha, qui vient de mourir (le 26 septembre 2009) à quatre-vingt six ans dans sa Barcelone natale, était à la fois fascinant et très amusant. Outre une silhouette de gentille dame tranquille, la grande pianiste ibérique du demi-siècle avait de toutes petites mains. On s’attendait donc à ce qu’elle se cantonne à un répertoire intimiste. Mais comme le répertoire, intimiste ou pas, présuppose que la main de l’interprète couvre au moins l’octave, et comme la gentille dame était pourvue d’un tempérament de feu, Alicia de Larrocha n’a jamais cessé de contredire les apparences. Elle a tacitement dissuadé nombre de ses confrères de se lancer à sa suite dans Albéniz et Granados, mais elle n’a pas hésité, elle, à faire siens Mozart et Beethoven, Debussy et Fauré. Et tant pis pour Rachmaninov, qui possédait lui-même de grandes mains, et n’a composé que pour ses semblables. Quand vous écouterez les disques (il y en a beaucoup, et d’excellents) d’Alicia de Larrocha, ne perdez jamais de vue la gentille dame aux petites mains.

mardi 13 octobre 2009

L’Eco des pavanes

« Le Bottin est le livre que j’aimerais emporter sur une île déserte, parce qu’avec tous les noms qu’il contient, on peut imaginer quantité d’histoires. » On n’en attendait pas moins d’Umberto Eco, qui pendant un mois et demi, fait tanguer le Louvre de sa picdelamirandolesque culture. Au sein de ce « Vertige de la liste », qui nous promet soixante-trois lectures, une exposition, une chambre des merveilles, cinq conférences, huit documentaires, un livre, un catalogue, un spectacle, un colloque et cinquante-et-un intervenants, se glissent trois concerts. Et quels concerts ! On y trouve des litanies d’auteurs anonymes du XVIème siècle listant les mérites de la Vierge, un « Inventaire avant disparition », puisé dans Les Archives de la Planète du banquier philanthrope (sic) Albert Kahn et illustré par le DJ Laurent Garnier, ou encore des œuvres de Luciano Berio par l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris.
Eco et Berio ont longtemps fait cause commune, le second trouvant dans les recherches du premier sur le langage un écho à son propre travail de compositeur, lequel a de plus en plus consisté à confronter, empiler, mélanger et retraiter les couches sonores issues de cinq siècles de musique. Ce serait bien, pour la musique, d’avoir son Umberto Eco. Un Nom de la rose dont l’énigme reposerait sur l’interprétation des neumes, des Promenades dans le bois du concert, un Dire presque la même chose traitant non plus de la traduction, mais de la transcription… Le terme de « musique contemporaine » nous promettrait un voyage érudit mais ludique, au lieu du parcours du combattant auquel nous invitent encore les grognards de la défunte avant-garde.

Le Louvre invite Umberto Eco, du 2 novembre au 13 décembre.

A lire :

Vertige de la liste, d’Umberto Eco, Flammarion, 408 p., 39 euros.

N’espérez pas vous débarrasser des livres, entretiens d’Umberto Eco avec Jean-Claude Carrière. Grasset, 342 p., 18,50 euros.

Marge S. et Ludwig van



Première historique : Marge Simpson - unique playmate à la peau jaune, aux cheveux bleus (ça, ce n’est pas sûr) et aux mains à quatre doigts - fait la une du magazine Playboy en octobre 2009. Comme quoi la série animée TV la plus agressivement laide produite par le Nouveau Monde n’est pas dépourvue d’un certain érotisme. Autre particularité de cette charge de la famille américaine : un compositeur figure dans son générique, à savoir Beethoven, dont le buste orne la salle de classe où Lisa (la fille Simpson) pratique le saxophone. Le grand Ludwig Van, qui sur aucun de ses portraits n’affiche une franche gaieté, a l’air ici particulièrement vexé de la façon dont on traite son art. Nous ne sommes pas si loin de la discrète citation de Mahler incluse dans le générique de Six Feet Under, autre série culte, qui met en scène une famille d’entrepreneurs de pompes funèbres.

lundi 12 octobre 2009

Harmonies vaticanes


Jean-Paul II l’a fait, pourquoi pas Benoît XVI ? Eh bien, ça y est : le pape sort un disque. Il ne chante pas, lui, il parle, mais trois musiciens se sont penchés sur les harmoniques de sa voix, qu’ils ont drapée d’un blanc manteau de grégorien revisité. Ces élus ont acquis une « renommée mondiale »,  pour reprendre les termes du producteur Vincent Messina,  dans la musique de film et la world music. Il faut ajouter que le premier (Stefano Mainetti) est catholique,  que le deuxième (Simon Boswell) « ne se réclame d’aucune religion » (même source), et que le troisième (Nour Eddine) est musulman. Bien vu, tout ça. Bon, il ne s’agit pas de fers de lance de l’avant-garde (si tant est que ce mot ait encore un sens). On n’imagine pas le Saint Père atteignant l’harmonie céleste sous la houlette de Brian Ferneyough ou Bruno Mantovani. Reste à vérifier si Nostradamus a prédit que le successeur de Pierre deviendrait une rock star.

Denier du rêve

« Les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss. Pour la profondeur obtenue, non par la complexité, mais par la clarté et la simplicité. Pour la pureté avec laquelle s’exprime le sentiment de la mort, de la séparation et du deuil. Pour la longue ligne mélodique qui se déroule tandis que la voix de femme s’élance vers les sommets. Pour la grâce, la sérénité, la parfaite maîtrise, l’intensité de la beauté avec lesquelles cette voix s’élance. Pour la façon dont on est entraîné dans la puissante courbe parabolique de la douleur. Le compositeur laisse tomber tous les masques, et à l’âge de quatre-vingt-deux ans, il se tient nu devant vous. Et vous vous fondez en eau. » (p. 144-145)

Si elles venaient d’un livre sérieux, par exemple d’un Richard Strauss publié par Fayard (l’éditeur de référence des musicos), ces considérations passeraient pour des généralités, de la littérature inutile, de la musicologie pour prime time télévisuel. On ne manquerait pas de remarquer que Strauss avait quatre-vingt quatre ans, et non quatre-vingt deux, quand il a composé ses Quatre Derniers Lieder. Mais voilà, c’est dans un roman qu’on les trouve, et pas n’importe lequel : Exit le fantôme de Philip Roth (1). C'est-à-dire qu’il faut non seulement les replacer dans leur contexte, mais les mettre en perspective. Qui parle ? Dans quelle situation ? Est-ce l’opinion de l’auteur ou de l’un de ses personnages ? Du coup, ces envolées que tout straussophile est en droit de traiter par le mépris prennent un autre relief, acquièrent même un certain mystère. Comme le narrateur du roman n’est autre que Nathan Zuckerman, dont on nous a dit et redit qu’il était le double de Roth lui-même, tout se complique encore. Le drame de cet écrivain qui se croit (à tort, c’est là toute l’histoire) affranchi de ce que l’âge et la maladie lui interdisent est tout entier résumé dans ce paragraphe.


Un peu plus loin dans le roman, on apprend qu’un autre écrivain, génial et oublié, modèle problématique pour Zuckerman-Roth qui vit si mal (si mal que cela ?) sa condition de « plus grand écrivain américain vivant » (oui, mais quand il sera mort ?) a eu pour derniers mots : « La fin est si immense qu’elle contient sa propre poésie. Il n’y a pas à faire de rhétorique. Juste dire les choses simplement. » (p. 176). Un bel écho au « serait-ce déjà la mort ? », qui clôt le dernier des Quatre Derniers Lieder, non ?

Tout cela pour rappeler qu’écrire sur la musique n’est que littérature ? Que ce n’est jamais de musique que l’on parle, mais de soi-même en train d’en écouter, ou plutôt d’en rêver ? Lieux communs, là aussi. Et alors ? Roth le fait avec son génie particulier, comme Ingmar Bergman l’a fait à sa manière dans son dernier film, Sarabande. Le jour est encore loin où les génies empêcheront tout à chacun de commenter ses rêves.

(1) Exit le fantôme, de Philip Roth. Traduit (pas toujours adroitement, mais le style de Roth est plein de chausse-trappes) par Marie-Claire Pasquier. Gallimard, 328 p., 21 euros

jeudi 8 octobre 2009

La mélodie de l'horreur

Le chef d’orchestre (fort accent russe) : « Je vous baise chaleureusement ». La jeune et jolie violoniste : « Le fameux tempérament slave, n’est-ce pas » ? Le teaser du film Le Concert, réalisé par Radu Mihaileanu (à qui l’on doit Va, vis et deviens), annonce la couleur. L’idée de départ n’a pourtant rien de graveleux : un chef célèbre relégué au rang de technicien de surface pour avoir protégé des musiciens juifs (nous sommes à l’époque de Brejnev) intercepte un fax invitant l’Orchestre du Bolchoï à Paris. C’est lui qui viendra, avec un ensemble de musiciens en disgrâce. Alors pourquoi verser dans le racolage ? Pour  montrer que, bien que se passant dans le milieu de la musique classique, le film n’est ni guindé ni exagérément culturel ? Au cinéma, ce blocage récurrent nous a valu quelques jolis ratages, de la très branchée Femme de ma vie de Régis Warnier, où l’on voit un violoniste éthylique remonter au sommet de l’affiche avec une vitesse relevant du miracle, au récent Clara, de Helma Sanders-Brahms, mélo vaudevillesque mettant en scène le couple Schumann face au jeune Brahms (Johannes). Jacques Audiard lui-même, dans De battre mon cœur s’est arrêté, frôle le précipice, avec son héros-voyou sauvé par son amour pour le piano. Le Concert sort le 4 novembre. Sera-t-il l’exception qui confirme la règle ?

Le Concert, de Radu Mihaileanu, avec Mélanie Laurent, Miou-Miou, François Berléand.  Sortie nationale le 4 novembre.
Crédit photo : © EuropaCorp Distribution

vendredi 2 octobre 2009

La loi des séries

Marche arrière avec Mireille, bond en avant avec Wozzeck, embardée avec La Ville morte. Pour la rentrée, l’Opéra de Paris joue les Formules 1. Monter l’ouvrage de Korngold  n’a rien d’héroïque, si ce n’est que la France l’a ignoré pendant quatre-vingts ans. Et puis le spectacle monté par Willi Decker, vu à Salzbourg, Vienne, Barcelone et Londres, est meilleur que celui de la création hexagonale, importé en 2001 de Strasbourg au Châtelet. Gros succès, largement dû à une direction musclée et à une distribution à la hauteur. Ouf :  quand on est occupé à applaudir les interprètes, on peut se dispenser de juger l’œuvre. Allez dire, à l’entracte, que cette pâtisserie lyrique pétrie de Strauss battu et nappée d’une couche de Franz Lehar est une bonne série B. Vous n’aurez même pas le temps d’ajouter, avant qu’on ne vous tourne le dos, qu’une bonne série B vaut mieux qu’une mauvaise série A. Cela dit, le jeune Korngold savait son métier : juste avant que le rideau ne tombe, le héros reprend le Lied de Marietta, le passage le plus leharien de l’ouvrage. Résultat, ladite mélodie vous suit jusque chez vous, aussi collante que le morceau de scotch du Capitaine Haddock.
Crédit photo : Opéra national de Paris/ Bernd Uhlig