vendredi 30 octobre 2009

Kurt Weill, un prophète au cinéma

Dans le superbe film de Jacques Audiard Un Prophète, par exemple, la musique vient quand il le faut, et tous les styles sont bons. Mais quand le film se termine, quand le petit casseur est devenu un pro du crime via l’école (de la) centrale, Audiard trouve la note qui nous emporte : la Complainte de Mackie (« Mackie, lui, a un couteau, mais le couteau, on ne le voit pas » ), qui ouvre L’Opéra de Quat’sous de Brecht et Weill. Le procédé est connu, et ladite Complainte a été mise à toutes les sauces, mais cette fois, cela colle vraiment. Du coup, on redécouvre le génie sous la rengaine.

Sacrilège à New York


On croit rêver ! Imaginez une table ronde réunissant, dans le cadre très officiel de la New York Public Library, les metteurs en scène Luc Bondy, Patrice Chéreau et Bartlett Sher, en compagnie de Peter Gelb, le directeur du Metropolitan Opera. Sujet de l’entretien : la nouvelle mise en scène, au MET, de Tosca par Bondy, remplaçant celle, furieusement traditionnelle, de Franco Zeffirelli. Le public a hurlé sa rage, relayé par les critiques. Les objets du scandale ? Le baiser à la statue de la Vierge au premier acte ? Les prostituées avec lesquelles Scarpia s’amuse au deuxième ? Oui, mais surtout, l’absence du jeu de scène qui d’habitude clôt ce deuxième acte, où l’on voit Tosca décrocher un crucifix du mur et le poser sur le cadavre de Scarpia qu’elle vient de poignarder, après avoir disposé deux chandeliers de part et d’autre dudit cadavre, tout en chantant : « Et devant lui, tout Rome tremblait ». Bondy, pour l’occasion, est obligé de rappeler que ce final n’avait pas été prévu par Victorien Sardou, l’auteur du drame duquel Puccini a tiré son opéra, et qu’il avait été inventé par Sarah Bernhardt, la créatrice du rôle. Sait-il aussi que ce jeu de scène, devenu si célèbre qu’un dessin le représentant illustre la couverture de la partition de l’opéra, avait fait scandale lors de la création de la pièce à New York, et que Fanny Davenport, la Sarah Bernhardt américaine, avait dû le supprimer ? Certains critiques, tel Alex Ross du New Yorker, font remarquer que Puccini l’a indiqué dans sa musique : un accord pour le premier chandelier, un autre pour le second, un troisième pour le crucifix, le tout couronné par le thème (sinistre) de Scarpia. « Je ne savais pas que Tosca à New York, c’était comme la Bible », a ajouté Bondy. Les lyricomanes new yorkais feront moins d’histoires en voyant au MET De la Maison des morts dans la superbe mise en scène de Chéreau. Janacek, au Lincoln Center, cela ne sera jamais la Bible.

jeudi 29 octobre 2009

Une énigme nommée Elise

Selon le musicologue italien Luca Chiantore, La Lettre à Elise ne serait pas de Beethoven. Enfin, pas complètement. Ce serait le musicologue Ludwig Nohl, connu pour l’avoir découverte en 1865, qui aurait terminé l’illustre bagatelle à partir d’une esquisse de la main de grand homme. On pensait déjà que c’était Nohl qui avait rebaptisé Elise la véritable dédicataire, Therese Malfatti von Rohrenbach zu Dezza, sur laquelle Ludwig Van a eu des vues dans les années 1810, à moins qu’il ne se soit agi de la cantatrice Elisabeth Roeckel, la sœur du ténor qui a chanté Florestan dans Fidelio en 1806, et dont le surnom était Elise. Comme on possède par ailleurs, de la main de Beethoven, des esquisses proches de la version définitive, Nohl risque de rester à sa place et Chiantore à la sienne.
Pauvre Beethoven ! Il n’a déjà jamais eu de chance en amour, il faut encore que, de l’énigmatique Elise à l’Immortelle Bien-Aimée, la postérité se casse la tête à découvrir l’identité des élues de son cœur.

mardi 27 octobre 2009

Dudamel l’intouchable



Une médaille pour le chef, une pour le pianiste : le 24 octobre, à Pleyel, Frédéric Mitterrand a bondi sur scène pour élever Gustavo Dudamel, qui venait de dirige son Simon Bolivar Youth Orchestra, au grade de Chevalier des Arts et Lettres, et José Antonio Abreu, créateur du programme El Sistema, à celui d’Officier de la Légion d’honneur. Pour une fois que le divertissement de riches qu’est le concert symphonique est au service une bonne cause (donner par la musique leur chance à de jeunes défavorisés), il serait dommage de ne pas en profiter. Il n’y a guère eu, ces dernières années, que Daniel Barenboim, avec son West-Eastern Divan Orchestra, pour offrir une semblable occasion. Ne demandez pas si les deux concerts de Dudamel à Pleyel ont été bons ou mauvais : ce n’est pas la question, et les bruyantes acclamations du public ont été là pour le confirmer. Il serait même injurieux de juger comme des concerts normaux, de même qu’il serait déplacé de faire remarquer, dès lors qu’il dirige son ensemble israélo-palestinien, que Barenboim n’est pas moins lourd qu’à son habitude. Dudamel, aujourd’hui âgé de vingt-huit ans, gagne, au concert comme au disque (DG) ses galons de star avec ses jeunes compatriotes méritants, tout en construisant sagement son répertoire avec le Philharmonique de Los Angeles et l’Orchestre de Göteborg, les deux phalanges dont il est le Directeur Musical. Voilà ce qui s’appelle une carrière judicieusement menée.

lundi 26 octobre 2009

Un texto signé Tchaïkovski

 
 Vous en avez assez d’imiter Karajan devant la glace de la cheminée ? Vous êtes saisi par une envie irrépressible de diriger, en vrai, de chez vous, l’Ouverture « 1812 » de Tchaïkovski ? Qu’à cela ne tienne : avec mille téléphones portables, deux mille SMS, quelques mois de travail, une équipe performante (dont un Network Gourou), vous pouvez réaliser votre rêve. C’est ce qu’un Néo-Zélandais nous prouve, vidéo à l’appui. Certes, l’exécution finale, où l’on voit le mur de portables clignoter comme une carte de commissariat un soir de Fête de la musique, ne dure que trente-huit secondes, et le rendu sonore évoque davantage le synthé aigre de la pionnière Wendy Carlos que le velours du Philharmonique de Berlin. Mais c’est le making of qui est hallucinant. Car il ne suffit pas de répartir les sons sur les téléphones et de coordonner l’ensemble, il faut d’abord les produire, ces sons. Et là, on fait appel aux méthodes qu’utilisait Karajan : on enregistre de vrais instrumentistes. Il y a même une séance d’applaudissements, avec de vrais gens frappant leurs mains l’une contre l’autre. Moralité : si vos enregistrements de l’Ouverture « 1812 » ne vous suffisent plus (mais pourquoi, d’ailleurs, vous fixer sur cette horreur, alors que Tchaïkovski a produit tant de jolies choses ?), faites établir un devis : il n’est peut-être ni plus onéreux ni plus compliqué d’inviter chez vous le Philharmonique de Berlin que de vous offrir trente-huit secondes de SMS en folie.

jeudi 22 octobre 2009

Nobles perspectives


Sixième des neuf concerts de la série Pollini Perspectives à la salle Pleyel, mardi 13 octobre. Comme il aime le faire, le pianiste mêle grand répertoire et musique du XXème siècle. Après Beethoven - Boulez et Stockhausen - Brahms, voici Chopin - Nono. La salle est pleine. Le Chopin de Pollini choque les âmes sensibles (trop de violence), fascine les esthètes (comme cela chante, quand même !), mais impressionne tout le monde : on ne va quand même pas faire la fine bouche devant le grand Maurizio. Après l’entracte, notre pianiste dévoile ses batteries. Ce Chopin-là n’annonce-t-il pas …soffrete onde serene…, la pièce pour piano et bande magnétique à deux pistes que son ami Luigi Nono lui a dédicacée en 1976 ? Applaudissements nourris, mais d’une partie du public seulement. Viennent ensuite une monodie pour soprano solo dédiée par Nono à la révolutionnaire algérienne Djamila Boupacha, dont Picasso a laissé un étonnant portrait. Quelques spectateurs partent discrètement, en s’excusant de déranger leurs voisins. C’est enfin A floresta é jovem e cheja de vida, une cantate de trois quarts d’heures dédiée au FLN vietnamien, pour soprano, trois récitants, quatuor de percussions clarinette solo et son projetés, sur des textes de Fidel Castro et Patrice Lumumba. Cette fois, la salle se vide par rangs entiers, et certains n’hésitent pas à faire claquer leur siège. Le projet de Maurizio Pollini est beau et noble, et son public devrait y adhérer. Quelques habitués du Festival d’Automne le font. Les autres ? Euh, ils sont venus écouter Pollini jouer Chopin…

Crédit photo : (c) Mathias Bothor / DG

mercredi 21 octobre 2009

Fellini, opus posthume

Exposition au musée du Jeu de Paume, hommage à la Cinémathèque, livres et DVD : c’est la fête à Fellini. Seize ans après sa mort, le cinéma ne sait toujours pas très bien dans quelle case ranger l’homme aux titres auto-signés (Fellini-Roma, Fellini-Satyricon). On a souvent dit que ses films étaient des opéras sans musique (si ce n’est celle de Nino Rota, qui a écrit des opéras… pour d’autres). Parce qu’il était italien ? Parce que la démesure était devenue sa marque de fabrique ? Il n’a, en tout cas, pas cédé au producteur Daniel Toscan du Plantier, qui voulait faire tourner des « filmopéras » à tout le monde, et y est arrivé avec quelques-uns (Rosi, Comencini, pour ne citer que les Italiens). A deux reprises, Fellini a touché à la musique, ou tout au moins aux musiciens : dans Prova d’orchestra (1979) et E la Nave va… (1983). Ce ne sont pas ses films les plus fêtés. Le premier, qui donne une répétition d’orchestre comme métaphore du monde, a été jugé réactionnaire ; le second, qui raconte le retour par bateau des cendres d’une cantatrice célèbre, trop esthétisant. C’est bien sûr l’occasion de les voir ou de les revoir. Qui prétendra que les caprices d’un maestro omnipotent ne sont plus à l’ordre du jour en Italie, et qu’une croisière people aux relents de cadavre ne parle plus au public de notre temps ?

Tutto Fellini.
Musée du Jeu de Paume : exposition Fellini, la grande parade. Du 20 octobre 2009 au 17 janvier 2010.
Cinémathèque française : rétrospective du 21 octobre au 20 décembre.
Institut Culturel Italien : rencontres, avec le soutien de la Fondation Fellini. Le 16 novembre : leçon de ciné-musique avec Nicola Piovani.

Son Voyage d’hiver



Un bad trip, comme d’habitude, le roman de rentrée Amélie Nothomb (en dix-huit ans, elle en a écrit dix-huit). Mais comme celui-ci s’intitule Le Voyage d’hiver… Schubertiens exclusifs, épargnez vos quinze euros. Cette histoire dont les héros s’appellent Zoïle, Astrobale et Aliénor, cette relation vague entre un kamikaze velléitaire, un(e) agent littéraire et une romancière bizarre est, certes, voyageuse (les avions) et hivernale (ces dames refusent de chauffer leur appartement), mais pas musicale pour un sou. A ce train-là, Le Docteur Jivago (hiver + déplacement de population) pourrait s’intituler Le Voyage d’hiver. Bien sûr, si votre schubertophilie se double d’une nothombolâtrie, vous ne manquerez pas de débusquer dans ce mini-récit (130 pages) de subtiles correspondances entre les ressassements du Voyageur et les délires récurrents de la romancière. En 2003, le cinéaste pour happy few Vincent Dieutre a filmé un voyage initiatique et très contemporain entre Paris et Berlin. Mais son film s’appelle Mon Voyage d’hiver, et on y entend du Schubert.


Le Voyage d’hiver, d’Amélie Nothomb. Albin-Michel, 136 p., 15 euros
Mon Voyage d’hiver, de Vincent Dieutre. 1 DVD Optimale « Rainbow Classics »

mardi 20 octobre 2009

Villazón l'intouchable


« With the bottom of my hearth, euh, from the bottom… I want to thank you”. Plus Mr Bean que jamais, Rolando Villazón annonce son come back sur son site, et remercie tous ceux qui lui ont écrit pour lui souhaiter bon courage pendant son année sabbatique forcée. A la suite de quoi il pousse la note fortissimo et sort du champ en sautant par-dessus son siège. Allez, après ça, faire la fine bouche sur son agitation en scène, reprochez-lui de chanter la main sur le cœur et le cœur sur la main, mettez-le en concurrence avec l’autre ténor du moment, l’élégant Juan Diego Florez. Rien n’y fera. Evitez - au risque de passer pour un rabat-joie - d’insinuer que s’il a eu de grave problèmes vocaux, c’est parce qu’il brutalise sa voix, et que sa technique n’est peut-être pas à toute épreuve. Cela paraîtra aussi déplacé que de rappeler que Pavarotti n’avait pas une silhouette de jeune premier. Il n’y a guère que les ténors pour échapper ainsi à la critique, pour entretenir avec leur public un rapport de pop star à groupies. « Touche pas à mon ténor » , préviennent les villazonophiles. Promis, on essaiera.

lundi 19 octobre 2009

Jeu de mains



Voir jouer Alicia de Larrocha, qui vient de mourir (le 26 septembre 2009) à quatre-vingt six ans dans sa Barcelone natale, était à la fois fascinant et très amusant. Outre une silhouette de gentille dame tranquille, la grande pianiste ibérique du demi-siècle avait de toutes petites mains. On s’attendait donc à ce qu’elle se cantonne à un répertoire intimiste. Mais comme le répertoire, intimiste ou pas, présuppose que la main de l’interprète couvre au moins l’octave, et comme la gentille dame était pourvue d’un tempérament de feu, Alicia de Larrocha n’a jamais cessé de contredire les apparences. Elle a tacitement dissuadé nombre de ses confrères de se lancer à sa suite dans Albéniz et Granados, mais elle n’a pas hésité, elle, à faire siens Mozart et Beethoven, Debussy et Fauré. Et tant pis pour Rachmaninov, qui possédait lui-même de grandes mains, et n’a composé que pour ses semblables. Quand vous écouterez les disques (il y en a beaucoup, et d’excellents) d’Alicia de Larrocha, ne perdez jamais de vue la gentille dame aux petites mains.

mardi 13 octobre 2009

L’Eco des pavanes

« Le Bottin est le livre que j’aimerais emporter sur une île déserte, parce qu’avec tous les noms qu’il contient, on peut imaginer quantité d’histoires. » On n’en attendait pas moins d’Umberto Eco, qui pendant un mois et demi, fait tanguer le Louvre de sa picdelamirandolesque culture. Au sein de ce « Vertige de la liste », qui nous promet soixante-trois lectures, une exposition, une chambre des merveilles, cinq conférences, huit documentaires, un livre, un catalogue, un spectacle, un colloque et cinquante-et-un intervenants, se glissent trois concerts. Et quels concerts ! On y trouve des litanies d’auteurs anonymes du XVIème siècle listant les mérites de la Vierge, un « Inventaire avant disparition », puisé dans Les Archives de la Planète du banquier philanthrope (sic) Albert Kahn et illustré par le DJ Laurent Garnier, ou encore des œuvres de Luciano Berio par l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris.
Eco et Berio ont longtemps fait cause commune, le second trouvant dans les recherches du premier sur le langage un écho à son propre travail de compositeur, lequel a de plus en plus consisté à confronter, empiler, mélanger et retraiter les couches sonores issues de cinq siècles de musique. Ce serait bien, pour la musique, d’avoir son Umberto Eco. Un Nom de la rose dont l’énigme reposerait sur l’interprétation des neumes, des Promenades dans le bois du concert, un Dire presque la même chose traitant non plus de la traduction, mais de la transcription… Le terme de « musique contemporaine » nous promettrait un voyage érudit mais ludique, au lieu du parcours du combattant auquel nous invitent encore les grognards de la défunte avant-garde.

Le Louvre invite Umberto Eco, du 2 novembre au 13 décembre.

A lire :

Vertige de la liste, d’Umberto Eco, Flammarion, 408 p., 39 euros.

N’espérez pas vous débarrasser des livres, entretiens d’Umberto Eco avec Jean-Claude Carrière. Grasset, 342 p., 18,50 euros.

Marge S. et Ludwig van



Première historique : Marge Simpson - unique playmate à la peau jaune, aux cheveux bleus (ça, ce n’est pas sûr) et aux mains à quatre doigts - fait la une du magazine Playboy en octobre 2009. Comme quoi la série animée TV la plus agressivement laide produite par le Nouveau Monde n’est pas dépourvue d’un certain érotisme. Autre particularité de cette charge de la famille américaine : un compositeur figure dans son générique, à savoir Beethoven, dont le buste orne la salle de classe où Lisa (la fille Simpson) pratique le saxophone. Le grand Ludwig Van, qui sur aucun de ses portraits n’affiche une franche gaieté, a l’air ici particulièrement vexé de la façon dont on traite son art. Nous ne sommes pas si loin de la discrète citation de Mahler incluse dans le générique de Six Feet Under, autre série culte, qui met en scène une famille d’entrepreneurs de pompes funèbres.

lundi 12 octobre 2009

Harmonies vaticanes


Jean-Paul II l’a fait, pourquoi pas Benoît XVI ? Eh bien, ça y est : le pape sort un disque. Il ne chante pas, lui, il parle, mais trois musiciens se sont penchés sur les harmoniques de sa voix, qu’ils ont drapée d’un blanc manteau de grégorien revisité. Ces élus ont acquis une « renommée mondiale »,  pour reprendre les termes du producteur Vincent Messina,  dans la musique de film et la world music. Il faut ajouter que le premier (Stefano Mainetti) est catholique,  que le deuxième (Simon Boswell) « ne se réclame d’aucune religion » (même source), et que le troisième (Nour Eddine) est musulman. Bien vu, tout ça. Bon, il ne s’agit pas de fers de lance de l’avant-garde (si tant est que ce mot ait encore un sens). On n’imagine pas le Saint Père atteignant l’harmonie céleste sous la houlette de Brian Ferneyough ou Bruno Mantovani. Reste à vérifier si Nostradamus a prédit que le successeur de Pierre deviendrait une rock star.

Denier du rêve

« Les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss. Pour la profondeur obtenue, non par la complexité, mais par la clarté et la simplicité. Pour la pureté avec laquelle s’exprime le sentiment de la mort, de la séparation et du deuil. Pour la longue ligne mélodique qui se déroule tandis que la voix de femme s’élance vers les sommets. Pour la grâce, la sérénité, la parfaite maîtrise, l’intensité de la beauté avec lesquelles cette voix s’élance. Pour la façon dont on est entraîné dans la puissante courbe parabolique de la douleur. Le compositeur laisse tomber tous les masques, et à l’âge de quatre-vingt-deux ans, il se tient nu devant vous. Et vous vous fondez en eau. » (p. 144-145)

Si elles venaient d’un livre sérieux, par exemple d’un Richard Strauss publié par Fayard (l’éditeur de référence des musicos), ces considérations passeraient pour des généralités, de la littérature inutile, de la musicologie pour prime time télévisuel. On ne manquerait pas de remarquer que Strauss avait quatre-vingt quatre ans, et non quatre-vingt deux, quand il a composé ses Quatre Derniers Lieder. Mais voilà, c’est dans un roman qu’on les trouve, et pas n’importe lequel : Exit le fantôme de Philip Roth (1). C'est-à-dire qu’il faut non seulement les replacer dans leur contexte, mais les mettre en perspective. Qui parle ? Dans quelle situation ? Est-ce l’opinion de l’auteur ou de l’un de ses personnages ? Du coup, ces envolées que tout straussophile est en droit de traiter par le mépris prennent un autre relief, acquièrent même un certain mystère. Comme le narrateur du roman n’est autre que Nathan Zuckerman, dont on nous a dit et redit qu’il était le double de Roth lui-même, tout se complique encore. Le drame de cet écrivain qui se croit (à tort, c’est là toute l’histoire) affranchi de ce que l’âge et la maladie lui interdisent est tout entier résumé dans ce paragraphe.


Un peu plus loin dans le roman, on apprend qu’un autre écrivain, génial et oublié, modèle problématique pour Zuckerman-Roth qui vit si mal (si mal que cela ?) sa condition de « plus grand écrivain américain vivant » (oui, mais quand il sera mort ?) a eu pour derniers mots : « La fin est si immense qu’elle contient sa propre poésie. Il n’y a pas à faire de rhétorique. Juste dire les choses simplement. » (p. 176). Un bel écho au « serait-ce déjà la mort ? », qui clôt le dernier des Quatre Derniers Lieder, non ?

Tout cela pour rappeler qu’écrire sur la musique n’est que littérature ? Que ce n’est jamais de musique que l’on parle, mais de soi-même en train d’en écouter, ou plutôt d’en rêver ? Lieux communs, là aussi. Et alors ? Roth le fait avec son génie particulier, comme Ingmar Bergman l’a fait à sa manière dans son dernier film, Sarabande. Le jour est encore loin où les génies empêcheront tout à chacun de commenter ses rêves.

(1) Exit le fantôme, de Philip Roth. Traduit (pas toujours adroitement, mais le style de Roth est plein de chausse-trappes) par Marie-Claire Pasquier. Gallimard, 328 p., 21 euros

jeudi 8 octobre 2009

La mélodie de l'horreur

Le chef d’orchestre (fort accent russe) : « Je vous baise chaleureusement ». La jeune et jolie violoniste : « Le fameux tempérament slave, n’est-ce pas » ? Le teaser du film Le Concert, réalisé par Radu Mihaileanu (à qui l’on doit Va, vis et deviens), annonce la couleur. L’idée de départ n’a pourtant rien de graveleux : un chef célèbre relégué au rang de technicien de surface pour avoir protégé des musiciens juifs (nous sommes à l’époque de Brejnev) intercepte un fax invitant l’Orchestre du Bolchoï à Paris. C’est lui qui viendra, avec un ensemble de musiciens en disgrâce. Alors pourquoi verser dans le racolage ? Pour  montrer que, bien que se passant dans le milieu de la musique classique, le film n’est ni guindé ni exagérément culturel ? Au cinéma, ce blocage récurrent nous a valu quelques jolis ratages, de la très branchée Femme de ma vie de Régis Warnier, où l’on voit un violoniste éthylique remonter au sommet de l’affiche avec une vitesse relevant du miracle, au récent Clara, de Helma Sanders-Brahms, mélo vaudevillesque mettant en scène le couple Schumann face au jeune Brahms (Johannes). Jacques Audiard lui-même, dans De battre mon cœur s’est arrêté, frôle le précipice, avec son héros-voyou sauvé par son amour pour le piano. Le Concert sort le 4 novembre. Sera-t-il l’exception qui confirme la règle ?

Le Concert, de Radu Mihaileanu, avec Mélanie Laurent, Miou-Miou, François Berléand.  Sortie nationale le 4 novembre.
Crédit photo : © EuropaCorp Distribution

vendredi 2 octobre 2009

La loi des séries

Marche arrière avec Mireille, bond en avant avec Wozzeck, embardée avec La Ville morte. Pour la rentrée, l’Opéra de Paris joue les Formules 1. Monter l’ouvrage de Korngold  n’a rien d’héroïque, si ce n’est que la France l’a ignoré pendant quatre-vingts ans. Et puis le spectacle monté par Willi Decker, vu à Salzbourg, Vienne, Barcelone et Londres, est meilleur que celui de la création hexagonale, importé en 2001 de Strasbourg au Châtelet. Gros succès, largement dû à une direction musclée et à une distribution à la hauteur. Ouf :  quand on est occupé à applaudir les interprètes, on peut se dispenser de juger l’œuvre. Allez dire, à l’entracte, que cette pâtisserie lyrique pétrie de Strauss battu et nappée d’une couche de Franz Lehar est une bonne série B. Vous n’aurez même pas le temps d’ajouter, avant qu’on ne vous tourne le dos, qu’une bonne série B vaut mieux qu’une mauvaise série A. Cela dit, le jeune Korngold savait son métier : juste avant que le rideau ne tombe, le héros reprend le Lied de Marietta, le passage le plus leharien de l’ouvrage. Résultat, ladite mélodie vous suit jusque chez vous, aussi collante que le morceau de scotch du Capitaine Haddock.
Crédit photo : Opéra national de Paris/ Bernd Uhlig