dimanche 31 janvier 2010

Camille Maurane, Earl Wild, ils étaient encore vivants ?


On ne peut pas dire que ce soit un plaisir, mais il est toujours réconfortant d’apprendre que des gens que l’on pensait depuis longtemps enterrés viennent « seulement » de nous quitter. Ainsi la semaine dernière, la presse a rendu hommage au baryton français Camille Maurane, décédé à quatre-vingt-dix-huit ans, et au pianiste américain Earl Wilde, qui n’en avait, lui, que quatre-vingt-quatorze. En 2001, on s’était, de la même manière, étonné d’apprendre que Gina Cigna, la première Turandot de Puccini au disque (1938), venait de s’éteindre à cent-un ans, ou, en 2007, que Gian Carlo Menotti, compositeur d’opéras qui avaient l’air de dater des années 1920, avait rejoint à quatre-vingt-seize ans Giordano et Cilea au paradis des véristes. Le plus triste, dans tout cela, c’est que ces gens que la mort a oubliés le sont aussi par les vivants. Il faut être un fan de mélodie française pour se rappeler que Camille Maurane a été réputé dans Fauré, et qu’il a des années durant été « l’autre » Pelléas des scènes internationales, quand Jacques Jansen était pris ailleurs.
On ne sait pas beaucoup plus qu’Earl Wild a été jusqu’à un âge avancé un champion du piano-spectacle à l’américaine, capable de faire rutiler les Concertos de Rachmaninov et de retrouver dans Gershwin le swing du maître lui-même. Maurane a laissé de nombreux enregistrements (dont, justement, un beau Pelléas et Mélisande dirigé par Ernest Ansermet) et Wild est à la tête d’une discographie pléthorique, qu’il a, sur le tard, encore enrichie en créant son propre label (Ivory Classics). Mais les disques, eux aussi, sont sujets à l’amnésie ambiante.

samedi 30 janvier 2010

Henri Dutilleux, Le Temps, l’Horloge et le disque minute

Il n’y a qu’à Henri Dutilleux que cela arrive. Le 14 mars 1998, sa pièce pour orchestre The Shadows of Time (Les Ombres du Temps) est créée à Boston sous la direction de Seiji Ozawa. Trois jours plus tard, le disque parait chez Erato. Durée : vingt-et-une minutes. Le 7 mai 2009, son cycle de mélodies Le Temps l’Horloge est donné en première mondiale au Théâtre des Champs-Elysées, sous la baguette du même Ozawa. L’enregistrement, réalisé en direct par Radio France, ne sort qu’au bout de six mois, dans la collection à tirage limité « Les grands concerts du Théâtre des Champs-Elysées ». Durée : quatorze minutes et vingt-trois secondes. Le CD est complété par une émission de radio « Spécial Ozawa » de treize minutes enregistrée le jour du concert, et réunissant le chef, le compositeur et la soliste Renee Fleming. L’idée de diffuser, pièce après pièce et en temps réel ou presque, les œuvres nouvelles d’un compositeur mondialement reconnu et toujours productif à quatre-vingt-quatorze ans est belle, d’autant que le temps, présent jusque dans ses titres, est une des composantes principales de son inspiration. Elle montre aussi à quel point le temps selon Dutilleux est hors du temps selon le marché du disque. La loi Hadopi ne concerne ni Boulez, ni Dutilleux, ni même Dusapin. Faut-il s’en réjouir ? Le Temps l’Horloge réunit des poèmes de Jean Tardieu (Le Temps l’Horloge, justement, ainsi que Le Masque) et Robert Desnos (Le dernier Poème), pour se terminer sur Enivrez-vous de Baudelaire. « Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous. Enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise." conseille le poète. Henri Dutilleux a bien fait de l’écouter.

Henri Dutilleux : Le Temps l’Horloge. Renee Fleming (soprano), Orchestre National de France, Seiji Ozawa (direction) - 1 CD Théâtre des Champs-Elysées. En vente au Théâtre (12 euros), ou par correspondance (15 euros). www.theatrechampselysees.fr

vendredi 29 janvier 2010

Rolando Villazón : Opéra chic ou opéra choc ?


« Tenori, tenori ! », soupire Renata Scotto, qui en a vu passer un certain nombre tout au long de sa glorieuse carrière. A Londres, Rolando Villazón croise le fer, par droit de réponse interposé, avec Rupert Christiansen, le critique musical du Daily Telegraph, qui lui reproche d’avoir participé à une nouvelle émission de la chaîne ITV intitulée Popstar to operastar (pas besoin de traduire), où des chanteurs de variétés viennent s’essayer à l’opéra, coachés par une vedette du genre. « Cette émission n’ouvrira pas les portes de l’opéra, écrit Christiansen. Elle les fermera au contraire, et ne fera que confirmer le préjugé selon lequel l’opéra, c’est cheap, moche et banal ». « Pourquoi les critiques sont-ils si furieux? De quoi ont-ils peur? Ils prétendent défendre la vérité de l’opéra, dont cette émission ne serait en aucun cas représentative, répond le ténor. Cela les choquerait-il autant de voir des gens jouer au Monopoly, sous prétexte que ce n’est pas ainsi que fonctionne la véritable vie économique ? ». Le blog Opera Chic, qui colporte la polémique, jette de l’huile sur le feu : «  Ce n’est pas en prenant la plume qu’un chanteur doit répondre à un critique, mais en chantant. Mais peut-être Rolando Villazón flirte-il avec le crossover parce qu’il sait que, pour raison de santé, il ne pourra plus très longtemps chanter sans micro ». Pas très classe, tout ça. De ce côté-ci du Channel, nous avons la preuve, depuis que Florent Pagny a sorti son album Baryton, que l’art lyrique peut résister à tout, et nous ne nous choquons pas de voir Roberto Alagna faire la tournée des palais des sports avec le programme de son disque Sicilien. Mais qu’est-ce que tout cela nous raconte, au fond ? Que l’opéra doit passer par la case démagogie pour gagner au Monopoly ? 321 000 téléspectateurs, le 26 janvier, ont regardé sur Arte Werther, superbement mis en scène et filmé par Benoit Jacquot en (presque) direct de l’Opéra Bastille. Ce n’est pas parce qu’à la même heure il y en avait 7 041 000 sur TF1 devant Benjamin Gates ou le trésor des Templiers que l’art lyrique est en péril.

jeudi 28 janvier 2010

2010, l’empreinte russe


2010, année franco-russe. Il y a tellement de manifestations, dans tous les domaines, qu’on fera bien quelques découvertes. Là-bas, il va y avoir un train d’écrivains français sur les rails du Transsibérien, un festival de théâtre de rue parcourant la Volga en bateau, une tournée de la Comédie Française de la Sibérie au golfe de Finlande, et Paquita (musique d’Edouard Deldevez – 1846) à Novossibirsk par le ballet de l’Opéra de Paris. Ici, les manifestations sont plus sédentaires, mais personne n’y échappe : à Moulins, le Centre National des Costumes de Scène fête le centenaire des Ballets Russes en exposant velours et brocards ayant paré Boris Godounov ou Ivan le Terrible. En musique, cela commence sans surprise, avec Valery Gergiev et l’Orchestre du Mariinski de Saint Pétersbourg jouant Tchaïkovski, et se poursuit dans le style « nos cultures sont complémentaires » avec l’opéra sur des motifs de La Cerisaie de Tchékhov, conjointement commandé à Philippe Fénelon par le Bolchoï de Moscou et l’Opéra de Paris. Il y a aussi un ballet d’Angelin Preljocaj sur le thème de l’Apocalypse de Jean, créé (presque) simultanément à Paris et à Moscou, mais avec une musique du DJ Laurent Garnier. Les vrais enjeux sont ailleurs : énergie, gestion des réseaux urbains, bâtiment, transports, aéronautique, construction automobile, industries pharmaceutique et agroalimentaire, agriculture, coopération spatiale. La France est par ailleurs le premier pays invité d’honneur, en juin, au Forum économique international de Saint Pétersbourg. En juin 2008, Christine Albanel, alors ministre de la Culture, déclarait à son homologue russe Alexandre Avdeev : « Contrairement aux traditionnelles Saisons culturelles, les Années croisées France-Russie 2010 ne se limiteront pas aux seuls échanges artistiques, même s’ils y tiendront une place de choix ». « Les » années ? Calendrier julien contre calendrier grégorien ? En attendant, Tsar, le film de Pavel Lounguine, sort en salles. On y voit Ivan le Terrible mettre la Russie au pas. Imparfait, mais instructif.

mercredi 27 janvier 2010

William Christie, libre et immortel


Mercredi 27 janvier, William Christie devient immortel. Ou presque : c’est dans la section « membres libres » qu’il a été admis à l’Académie des Beaux-Arts. Libre de quoi ? Sur le site de l’Institut de France, on lit que cette Académie regroupant les Académies de peinture et de sculpture (1648), de musique (1669) et d’architecture (1671) est, lors de sa création en 1816 « ouverte aux femmes et a pour vocation de protéger le statut des artistes, de présenter régulièrement leurs œuvres au public (initiative qui est à l’origine du Salon), mais aussi d’enseigner la pratique des arts. Dès sa constitution, des hommes influents de la Cour ou des affaires, des historiens et des théoriciens de l’art sont appelés à siéger aux côtés des créateurs. Ils peuvent être considérés comme les ancêtres des actuels membres libres. »
Le champion de la musique française, né à Buffalo (état de New York), partage sa nouvelle liberté avec le banquier Michel David-Weill, le directeur du musée du Louvre Henri Loyrette, le médecin-écrivain François Bernard Michel, le chef d’entreprise Marc Ladreit de La Charrière, le couturier Pierre Cardin et l’ex-directeur de l’Opéra de Paris Hugues Gall. C’est ce dernier qui prononce le discours de réception. En revanche, ce n’est pas Cardin qui a dessiné l’habit vert de l’impétrant, mais Christian Lacroix. William Christie occupe le fauteuil laissé libre par Marcel Marceau. La musique après le silence. Il est vrai qu’en coulisses, le grand mime était un grand bavard.

Crédit photo : Michel Szabo

mardi 26 janvier 2010

Natalie Dessay en Somnambule à haut risque


- Natalie Dessay est malade.
- Oooooooooh !
- Mais elle chantera tout de même ce soir.
- Aaaaaaaaaah !
Après Norma au Châtelet, La Somnambule à l’Opéra Bastille : la semaine Bellini est à haut risque. Il ne se passe rien, ou presque, dans La Somnambule. Dans les Alpes suisses, un jeune homme est fâché parce que sa fiancée est surprise dans la chambre d’un autre. Tout s’arrange quand on découvre que la demoiselle est somnambule. Cela pourrait être un sujet de vaudeville, ou un prétexte de (nouveau) roman des années 1950. Or tout l’édifice est suspendu à une musique lisse, légère, transparente, une musique qui a l’air de vouloir de se faire oublier. La bouillante Natalie Dessay, qui en a fait son contre-emploi favori, est ce soir à la peine, victime d’une pharyngite. Les longues phrases deviennent des pièges, les aigus des sommets à escalader. Devant son public mi-amoureux mi-sadique, elle passe tous les obstacles. C’est à peine si l’on détecte un départ hasardeux, une respiration un peu courte, une note trop appuyée. Le metteur en scène Marco Arturo Marelli, qui a placé l’action dans un hôtel des cimes, entre La Montagne magique de Thomas Mann et Une Femme disparaît d’Hitchckock, lui a offert un final de diva : robe de bal, rivière de diamants, rideau de scène copié sur celui du Palais Garnier. Dessay, fatiguée, frôle le précipice, puis se reprend, et finit sur un feu d’artifice à sa façon. Pourquoi a-t-on eu peur ? Une somnambule ne tombe que si on la réveille en sursaut.

Crédit photo : Opéra national de Paris/ Julien Benhamou

La Somnambule, de Bellini. Avec Natalie Dessay, Javier Camarena, Michele Pertusi. Marco Arturo Marelli (mise en scène), Evelino Pido (direction). Opéra National, de Paris-Bastille, les 28 et 31 janvier, 3, 6, 9, 12, 15, 18, 21, 23 février.  Diffusée en direct sur Mezzo le 15 février et ultérieurement sur France 3.

lundi 25 janvier 2010

Midem : la carotte et le bâton


Chiffres chocs au Midem : le marché mondial de la musique enregistrée a chu de 30% entre 2004 et 2009, mais celui de la musique en ligne a augmenté de 940% durant la même période, peut-on lire dans La Tribune. Pas de quoi pavoiser cependant. Selon l’Industrie Internationale de l’Industrie Phonographique, le « Saint Graal », qui resplendira au moment où la croissance du marché Internet compensera les pertes du CD, risque de se faire attendre. Plus de croissance, plus d’investissement sur les artistes, plus d’emploi. Et tout cela par la faute du piratage. Pour faire bourse délier aux Internautes, il faut leur proposer d’irrésistibles raretés, mais ce sont des sites illégaux qui le font. Faillite de la carotte, place au bâton : la loi Hadopi est donnée, sur la Croisette, comme un exemple par les nations réunies. Ravis, les amateurs de classique, d’échapper à tout cela. Là aussi, les ventes de disques ont fondu (le Midem classique est devenu quasiment indétectable), mais question piratage, on en est encore à la guerre en dentelles. Ce qui ne veut pas dire que les accros à Wagner et les fans de Philippe Jaroussky ne soient pas persuadés, eux aussi, que la musique est encore plus belle quand elle est gratuite.

44ème Marché International du Disque et de l’Edition Musicale (Midem). Cannes, Palais des Festivals, du 23 au 29 janvier.

dimanche 24 janvier 2010

Placido Domingo et les fantômes de l’opéra


Emoi dans la presse américaine : Placido Domingo est un phénomène, mais aussi un problème. Au Metropolitan Opera de New York, il chante Verdi (Simon Boccanegra) un soir et dirige Verdi (Stiffelio) le lendemain. Voilà pour le phénomène. Le problème, qui relève aussi du phénomène, est qu’il est aussi le directeur de l’Opéra de Los Angeles (côte ouest) et de celui de Washington (côte est). Au début, tout s’est bien passé, le maestro tenorissimo n’ayant qu’à lever un sourcil pour faire accourir le gratin de l’opéra. Coûts énormes, à commencer par les émoluments de M. le Directeur, mais recettes à l’avenant. Et puis la crise est venue, et les deux maisons ont déchanté. Dettes, emprunts, mécènes qui se font tirer l’oreille (ou qui meurent de vieillesse), et un directeur qui n’est qu’une voix (quelle voix !) au téléphone ou une silhouette entre deux avions. A Washington, Le Crépuscule des dieux a dû être donné sans décors ni costumes. Scandale d’abord, dans un pays où luxe et opéra sont synonymes, succès ensuite : on parle de pureté, d’intimité, d’essentiel. La révolte continue pourtant de gronder. Dans le New York Times, une responsable syndicale fustige les manières de M. le Directeur, qui arrive en coup de vent la veille d’une première et demande des modifications d’autant plus coûteuses qu’elles sont tardives, ou fait payer le chœur en heures supplémentaires parce qu’il l’a convoqué un jour de repos. Cette responsable syndicale s’appelle Kallas, Eleni Kallas. Comme disait Marx : « L’Histoire ne recommence pas, elle bégaie ».

samedi 23 janvier 2010

François-Frédéric Guy et Philippe Jordan : Beethoven, un héros de notre temps

Qu’est-ce qui fait qu’une interprétation est, ou paraît « actuelle » ? Vendredi soir à la Salle Pleyel, François-Frédéric Guy et Philippe Jordan dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Radio France jouent le Concerto pour piano n° 3 de Beethoven. Leur enregistrement des cinq Concertos (chez Naïve) a été fêté : allant, lyrisme, sens de l’articulation et des enchaînements. Mais là, il y a quelque chose en plus, ou plutôt quelque chose de plus évident à nos oreilles. On sent qu’ils ont écouté les baroqueux, et qu’ils en ont retenu le plus convaincant : allant … (voir plus haut). On sent aussi qu’ils ont, dans les doigts pour l’un, dans le bras pour l’autre, des réflexes qui viennent de plus loin : on pense à Rudolf Serkin dans la façon dont joue le pianiste, sans fioritures, sans auto-complaisance ; on se rappelle George Szell en écoutant cet orchestre véloce, rythmiquement très en place, au son à la fois dense et aéré.
Mais il y a autre chose encore, un sourire, une désinvolture presque, une façon… mozartienne de jongler avec l’optimisme du premier mouvement, le narcissisme du deuxième, la fausse badinerie du troisième, qu’ils prennent sans précipitation. Un jeu français ? Un Beethoven teinté de Laclos ? Trop facile. Non, simplement, ils nous font oublier, à ce moment et dans ce lieu précis, les lourds hommages trop souvent rendus au « Titan de Bonn ». Le Beethoven de François-Frédéric Guy et Philippe Jordan est digeste. Ce n’est ni une plaisanterie ni une perfidie, mais le plus beau compliment qu’on peut lui faire.

vendredi 22 janvier 2010

Guillaume Coppola, un pianiste dans un cadre en or


Récital, dans la salle du Conservatoire National d’Art dramatique, de Guillaume Coppola, qui vient d’éclater avec un album Liszt reçu en fanfare par la presse (et par Musikzen). Double atout : la personnalité du pianiste et celle de la salle. Coppola est de ces artistes qui, dans la lignée d’Alexandre Tharaud, ne se contentent pas de faire des prouesses au clavier, mais tiennent à nous faire entrer dans leur monde. Il joue Granados « parce que c’est de la musique ensoleillée », passe à Chopin « dont Granados se réclamait », et finit par Liszt, son (actuel) cheval de bataille. Pendant les bis (commentés eux aussi), il fait venir le baryton Marc Mauillon, apparemment plus jeune encore que lui, et nous conseille, avant de l’accompagner dans O, quand je dors (Liszt encore), de voter pour lui aux prochaines Victoires de la Musique. Tout cela avec un naturel qui va bien avec son jeu, pensé et fluide en même temps. Ce moment musical (terme plus juste, en l’occurrence, que concert), programmé dans la série les Pianissimes (récitals-discussions, ateliers pédagogiques, professionnalisation des jeunes talents) passe d’autant mieux la rampe qu’il a lieu dans une des plus belles salles de concerts du monde, celle où Habeneck a fait connaître Beethoven aux Français et où Berlioz a créé la Symphonie fantastique : quatre-cent-cinquante places, murs et colonnes de bois peint (de style Empire, cherchez-en une autre), des proportions idéales, une acoustique qui convient aussi bien à la parole qu’à la musique. L’ennui, c’est que cette merveille ne sert plus, sauf exception, qu’aux exercices des comédiens, depuis qu’au Conservatoire, musique et déclamation (comme on disait à l’époque) ont fait sécession.

jeudi 21 janvier 2010

Téhéran : tournée fantôme pour Symphonie de l’Amitié


Mystère, mystère. Une dépêche, tombée lundi dernier, de l’agence iranienne Fars News, relayée par le site mehrnews.com, annonce que l’Orchestre Symphonique de Téhéran (TSO) prépare une tournée dans cinq pays d’Europe de l’Ouest, parmi lesquels la France, l’Allemagne et l’Italie. Au programme : la Symphonie de la Paix et de l’Amitié, œuvre du compositeur Majid Entezami, créée en février dernier à l’occasion du trentième anniversaire de la Révolution islamique. Or un certain nombre de personnalités du milieu musical iranien, comme Peyman Soltani, chef de l’orchestre traditionnel Melal, et Mostafa Kamal Purtorab, membre du Conseil d’administration du TSO, contestent le choix de cette œuvre, la considérant comme indigne d’être présentée dans des pays où sont nés les plus grands compositeurs et où officient les meilleurs orchestres symphoniques. Une position courageuse, si l’on considère la photo officielle où l’on voit le président Mahmoud Ahmadinejad déposer un baiser fraternel sur le front de Majid Entezami à l’issue de la création de la symphonie en question. Mais le plus étrange, dans tout cela, est que la tournée est censée avoir lieu du 22 janvier (c'est-à-dire demain) au 4 février, qu’aucune précision n’est encore donnée sur les lieux exacts et les dates des concerts, et qu’on ne sait toujours pas quels sont les deux pays élus aux côtés de la France, de l’Allemagne et de l’Italie.

mercredi 20 janvier 2010

Jeux olympiques : comment les entendent-ils ?



Très théâtre, Ruth MacKenzie, Conseiller culturel du gouvernement britannique et tout juste nommée Tête pensante (mastermind) de la culture aux Jeux Olympiques de Londres en 2012. Cette figure du monde des arts doublée d’une habile politique a dirigé le Festival International de Manchester, branché création contemporaine en tous genres, et le plus traditionnel Festival de théâtre de Chichester, créé par Laurence Olivier. Elle a fait aussi un passage au Scottish Opera. Partout, elle a été applaudie pour ses initiatives artistiques, mais critiquée pour sa gestion financière. Cette fois, elle fera équipe avec des poids lourds du milieu, tels Tony Hall, directeur du Covent Garden et président de la Cultural Olympiad, Craig Hassall, le manager de l’English National Ballet, et Brian McMaster, l’ex-directeur du Festival d’Edimbourg. Pour l’instant, elle prépare un audit portant sur les festivités prévues en 2008, avant que la crise ne vienne troubler la fête. On peut espérer qu’avec un tel aréopage, la musique a toutes ses chances, mais aucune indication n’a encore filtré quant à la programmation. On sait tout, en revanche, des quatre années culturelles qui vont précéder les premiers Jeux Olympiques d’hiver russes à Sochi, deux ans plus tard, en 2014. Après l’Année du cinéma (2010) et l’Année du théâtre (2011), l’Année de la musique (2012) aura pour locomotives Valery Gergiev, Anna Netrebko et Yuri Bashmet.
Si vous pleurez encore Paris-ville-olympique, rappelez-vous qu’on nous promettait en 2005 un parcours festif dont la Seine aurait été l’axe, un Paris Plage « olympisé » (?) et une tournée des musées et monuments. Le communiqué officiel ne faisait mention d’aucune manifestation musicale. Il y en aurait sans doute eu, mais il fallait éviter d’effrayer qui que ce soit.

mardi 19 janvier 2010

Châtelet : Norma, une histoire de fous


Pain blanc, pain noir : après Werther à la Bastille, Norma au Châtelet. L’opéra de Bellini n’a pas de chance à Paris. Maria Callas, aphone, y a terminé sa carrière, Montserrat Caballé s’y est vu reprocher de ne pas être Callas ; et leurs héritières n’ont laissé aucun souvenir. Cette fois, il s’agit de retrouver le son d’époque, de reconstituer l’ « orchestre italien », cette grande guitare qui (ne) sert (qu’) à porter les voix. Comme il n’y a pas, pour l’instant, de  belcantistes grand format en activité, l’argument musicologique sert de caution : orchestre léger, voix légères. Jean-Christophe Spinosi, le chef baroqueux qui n’a peur de rien, ne parvient qu’à mener à l’abattoir, et au pas de course, des gens qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Le public, gentil, ne siffle pas, encourage même ces naufragés du sublime. C’est Peter Mussbach, le metteur en scène, qui paye pour tout le monde. Les rancuniers doivent encore lui en vouloir d’avoir, au festival d’Aix, fait de la Traviata une Marilyn Monroe qui meurt derrière un pare-brise, comme Lady Di. Ce soir, la druidesse gauloise qui a collaboré sur l’oreiller avec l’occupant romain se retrouve à la tête d’une bande d’aliénés roulant une grosse lune (c’est elle, la Casta diva, la chaste déesse ?) en caoutchouc. Interviewé dans le programme, Mussbach affirme : « Notre rôle est de raconter l’histoire aux gens de notre époque avec un maximum de sens sans lui substituer nos propres réactions névrotiques ». Il aurait peut-être mieux fait de l’opérer, la substitution.

Norma, Théâtre du Châtelet (Paris), Mercredi 20 20h, Vendredi 22 20h, Dimanche 24 16h, Mardi 26 20h, Jeudi 28 20h.

lundi 18 janvier 2010

Majeur, mineur, ou la musique in the mood


Pourquoi les airs en majeur, comme Singin’in the rain, sont-ils plus joyeux que les airs en mineur, tel Another Brick in the wall des Pink Floyd ? C’est la grave question que se sont posée les chercheurs en neurosciences de l’Université de Durham en Caroline du Nord (Etats-Unis). Ils ont d’abord mis en parallèle la musique (sept-mille-cinq-cents mélodies classiques occidentales et chansons folkloriques finlandaises) et la langue (américaine). Première découverte : un rythme soutenu est plus dynamisant qu’un rythme lent. Deuxième découverte : les tierces mineures sont quinze fois plus nombreuses dans les morceaux en mineur que dans les morceaux en majeur. Ils ont alors fait lire à une dizaine de volontaires des textes optimistes (« J’ai gagné au loto ») et d’autres, plus moroses (« Mon divorce se passe mal »), en se concentrant sur la façon dont ceux-ci prononçaient les voyelles : les fréquences vocales étaient proches du mode majeur dans le premier cas, du mineur dans le second. Ils ont recommencé avec des Chinois parlant le mandarin : mêmes remarques. Ultime découverte : ces constatations se retrouvent dans différentes cultures, ce qui corrobore la théorie de la communauté des racines biologique entre des groupes humains très éloignés les uns des autres. Le compte-rendu de l’expérience est paru dans le très sérieux Journal of the Acoustical Society in America. Comme le faisait méchamment remarquer Debussy, l’Orphée de Gluck pourrait chanter « J’ai retrouvé mon Eurydice, rien n’égale mon bonheur », sur le même air que « J’ai perdu mon Eurydice, rien n’égale mon malheur ». Peut-être parce que l’air en question est en fa majeur.

dimanche 17 janvier 2010

Londres : effort de guerre au Covent Garden


Une journée au Covent Garden, suivie d’un spectacle présenté par Joanna Lumley (Patsy dans Absolutely Fabulous) : c’est le cadeau de l’association Tickets for the troops (Billets pour les troupes) aux boys britanniques enrôlés pour défendre les valeurs anglo-américaines en Irak et en Afghanistan ainsi qu’à leurs familles. Au programme : des extraits de La Bohème de Puccini et un ballet inspiré par les contes pour enfants de Beatrix Potter (1866-1943). Tony Hall, le directeur du Covent Garden (et président de la section culturelle des Jeux Olympiques de Londres en 2012), se déclare très fier de voir un établissement comme le sien associé à un effort auquel participent déjà la plupart des clubs de football, de rugby et de cricket. Les photos de Mrs Lumley portant le masque de Tiggy Winkle (Madame Piquedru la blanchisseuse) ou posant devant un mur de logos de l’association en compagnie de Squirrel Nutkin (Noisette l’écureuil) nous renvoient à l’époque où les manifestations de soutien aux vaillants soldats étaient photographiées en noir et blanc. Pourquoi changer de recette quand le plat se vend toujours ? La fête a lieu le 14 février, jour de la Saint Valentin. On n’imaginerait pas l’équivalent de ce côté-ci de la Manche, avec des personnages de la comtesse de Ségur. Ils sont bien trop cyniques pour cela.

samedi 16 janvier 2010

Pierre Boulez, du haut de sa pyramide


Coup d’envoi, dans le New York Times, des hommages planétaires à Pierre Boulez, à l’occasion de ses quatre-vingt-cinq ans (le 26 mars). Propos glanés.
« J’aime la virtuosité. Pas pour elle-même, mais parce qu’elle est dangereuse »
« Si vous voulez que votre vie soit plus intéressante, vous devez faire des efforts. C’est une question d’organisation. Je suis choqué que tant de gens ne soient pas plus créatifs, c’est à dire plus exigeants avec eux-mêmes. »
« Les questions que nous devons nous poser sont : « Est-ce que j’essaie d’être nécessaire à l’évolution du langage ? Est-ce que j’essaie d’être original ? Etre original signifie bien sûr se procurer les outils pour l’être, pas seulement en avoir le désir. Les outils sont importants : Mallarmé reprochait à Degas d’écrire des poèmes. « Il ne suffit pas d’avoir des idées de poèmes, disait-il. Les poèmes, ce sont des mots. »
« Je ne m’excuse pas d’avoir été sur les barricades durant les années 1950-1960. On nous a accusés d’être des dictateurs parce que nous jouions ce que nous aimions. Mais nous ne donnions que quatre concerts par an ! Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de concerts de musique nouvelle, mais l’enjeu est moins fort. »
« Vous n’obtenez pas de résultats si vous ne vous battez pas. Aujourd’hui, je comprends mieux les points de vue qui ne sont pas les miens, mais je suis encore capable de les combattre. »
« Ne placez pas votre ego au-dessus de la musique. Faites ce que vous avez à faire pour son service. C’est le seul moyen de progresser. »
« Le sérialisme a fait long feu. Il a été tué par les gens qui l’ont utilisé. »
Résumé de la situation par Daniel Barenboim, infatigable porte-parole du maître : « Si Pierre est une grande figure de la modernité, c’est parce qu’il a compris qu’il y avait dans la vie des moments d’évolution et des moments de révolution. Quand la révolution a été nécessaire, il a été là pour en prendre la tête. »
Boulez, en tout cas, semble prêt à résister tout seul aux tentatives d’embaumement. A moins qu’il ne contemple déjà le siècle du haut de sa pyramide.
Crédit photo : Felix Broede/DG

vendredi 15 janvier 2010

Joans Kaufmann, un Werther parfait pour Benoit Jacquot à la Bastille

Au MET, la nouvelle Tosca montée par Luc Bondy va probablement alterner avec l’ancienne, signée Franco Zeffirelli. Question de rentabilité. A l’Opéra de Paris, un Werther succède à un autre, à un an de distance. Les enjeux ne sont pas financiers, mais esthétiques, et même éthiques. En février 2009, Gerard Mortier étant directeur, on donne un spectacle soigné, mais propre à dégoûter les massenetophiles les plus fanatiques. Rien ne va, ni la mise en scène conceptuelle de Jürgen Rose, ni l’orchestre, sèchement dirigé par Kent Nagano, ni la distribution, de bric et de broc. Cette fois, Nicolas Joel ayant succédé à Mortier, l’opéra qui a fait mille-trois-cent-quatre-vingt-neuf fois pleurer Margot à la salle Favart est traité avec tout le soin que l’on doit aux meubles de famille. La production, qui a fait un tabac à Londres, est signée par le cinéaste Benoit Jacquot, le spécialiste Michel Plasson est aux commandes, et le plateau est un sans faute, avec le ténor coqueluche Jonas Kaufmann et la mezzo Sophie Koch, laquelle rappelle opportunément que Charlotte n’est pas une matrone, mais une beauté qui peut donner des envies de suicide. Ce spectacle tout simple, austère même, agit comme un nouveau tirage sur un négatif jauni. Jacquot sera lui-même derrière la caméra pour la retransmission sur Arte le mardi 26 janvier à 20h35. On le sait doué pour filmer le théâtre (La Fausse suivante de Marivaux, La Place royale de Corneille) et même l’opéra (Tosca, avec Roberto Alagna et Angela Gheorghiu). Mais là, il sera en direct.
Crédit photo : Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

Opéra National de Paris Bastille, les 17, 20, 23, 26, 29 janvier, 1er et 4 février. En direct sur Arte le 26 janvier à 19h30.

jeudi 14 janvier 2010

La Folle Journée Chopin : venez comme vous êtes


A la Folle journée de Nantes cette année : l’univers de Chopin. L’affiche est dans la veine de Schubert en baskets (2008) : Chopin, c’est mon copain. Un appartement bourgeois, avec parquet Versailles. Entre deux fenêtres, un radiateur 1950. Entre deux autres, punaisé au mur, le drapeau polonais, dans sa version avec armoiries. Nous sommes à Varsovie : par la fenêtre, on voit le Bâtiment de la Culture, offert par Staline au pays frère. Seuls meubles : un piano Pleyel et son tabouret. Deux partitions, une par terre, une sur le tabouret. Au premier plan, un jeune couple. Lui : jeans et polo rouge, avec les armoiries en lieu et place du crocodile Lacoste. Elle : jeans et t-shirt blanc barré, en rouge, du nom de « George ». Le jeune homme ressemble assez à Chopin, le nez surtout. La jeune fille, à y bien regarder, peut être George Sand, mais elle n’est pas habillé en homme (cela brouillerait le message ?), et elle ne fume pas le cigare (pour que l’affiche ne soit pas interdite dans le métro ?). Il n’était donc pas inutile de préciser son nom.
Sur le dépliant-guide des concerts fourni aux spectateurs, un autre dessin, de la même veine. Une pièce plus moderne que la précédente, avec parquet à l’anglaise sur lequel traînent des partitions. Chopin, vêtu d’un t-shirt violet frappé du nom de « George », est au piano. De la main droite, il effleure le clavier. De la gauche, il tient un mug orné des armoiries polonaises. Au mur : le portrait de George Sand par Delacroix. Derrière lui : une méridienne contemporaine devant une baie vitrée donnant, à gauche, sur le Palais de la Culture de Varsovie, à droite sur la Tour Eiffel.
Message officiel : à la Folle Journée, on vient comme on est, branché ou pas. Message subliminal : quand on connait, on comprend mieux. C’est ça, la recette du succès.
La Folle Journée, Nantes. L’univers de Chopin. Du 27 au 31 janvier. www.follejournee.fr

mercredi 13 janvier 2010

Et maintenant, Musikzen le site

Ca y est, je ne suis plus tout seul ! L'aventure Musikzen commence, le blog l'accompagne.

Ivo Josipovic : en Croatie, un musicien au pouvoir


Le juriste Ivo Josipovic, président social-démocrate de Croatie depuis dimanche dernier, a qualifié son élection de Symphonie de la Victoire. Il sait de quoi il parle, puisqu’il est aussi compositeur, et directeur de la Biennale de musique contemporaine de Zagreb. Ses opposants, qui lui reprochent son aspect de fonctionnaire sage et son manque de charisme, devraient, à défaut de les écouter, méditer sur les titres de ses œuvres : Samba da camera, Tisucu lotosa (Des lotus par milliers), Ingra staklenih perli (Le Jeu des perles de verre, d’après Hermann Hesse) ou Tuba Ludens, pièce destinée à détruire le préjugé selon lequel le tuba est un instrument lourd et inactif. Le nouveau président affirme aussi vouloir consacrer le peu de temps libre qui va lui rester à composer son premier opéra, dont le héros sera John Lennon. Ce n’est pas lui qui enverrait son gouvernement enregistrer un lipdub de propagande sur la musique d’un compositeur de variété.

mardi 12 janvier 2010

Rohmer et la musique : « Je t’aime, moi non plus »


Dès l’avant-propos de son ouvrage De Mozart en Beethoven, essai sur la profondeur en musique (Actes-Sud, 1996), Eric Rohmer se met dans un mauvais cas : « Oui, je l’avoue crûment, je n’aime pas la musique. Je m’applique à l’éliminer de ma vie et de mes films. Elle m’agace, me gêne, me fatigue, n’adoucit nullement, contrairement à l’adage, mes moeurs ni mon humeur. » Il se rattrape à la page suivante : « La musique, pour moi, n’est supportable que si on l’écoute avec la plus extrême attention, de toute son âme et de tout son corps ». Quelques lignes plus tard, il tend aux professionnels de la profession musicale des verges pour le battre : « J’ai essayé d’appliquer au domaine de la musique, où je suis novice, la méthode que j’avais élaborée au cours de ma réflexion sur les grandes œuvres de l’art cinématographique. Ce qui m’intéressait alors de montrer, c’est ce que j’appelais l’invention des formes ». Il se fait éreinter, avec tout le respect que l’on doit au cinéaste de Ma Nuit chez Maud et des Contes moraux, au théoricien de la Nouvelle Vague, à l’artisan des Cahiers du cinéma. Il a beau affirmer en 1983 : « Je pense qu'il y a au monde autre chose que le cinéma, et que le cinéma, au contraire, se nourrit des choses qui existent autour de lui. Le cinéma est même l'art qui peut le moins se nourrir de lui-même. Pour d'autres arts, c'est sûrement moins dangereux. », c’est du cinéma qu’il parle le mieux. C’est pourtant au théâtre, où il a pourtant connu le plus grand four de sa carrière avec La Petite Catherine de Heilbronn de Kleist (monté dans l’enthousiasme de La Marquise d’O, du même Kleist, au cinéma), qu’il fait la paix avec cette musique qui lui pose tant de problèmes. Le Trio en mi bémol, comédie brève en sept tableaux (1988), raconte joliment l’histoire d’un couple qui se retrouve plus sûrement dans les notes de Mozart que dans les mots de la vie quotidienne. Question de formes, toujours.

De Mozart en Beethoven (Actes Sud "Un endroit où aller"), est épuisé), Le Trio en mi bémol (Actes Sud "Papiers") est disponible.

lundi 11 janvier 2010

Werther, comble de la ténoritude


A l’Opéra de Paris en janvier : Werther, version ténor, peut-on lire dans la presse. Depuis que les Américains Dale Duesing et Thomas Hampson ont chanté le rôle transposé par Massenet lui-même à l’usage du baryton Mattia Battistini, il faut en effet préciser. Werther baryton, pourquoi pas, surtout quand c’est Hampson ou Ludovic Tézier qui chantent. Mais y a-t-il plus ténor que Werther, si ce n’est Don José dans Carmen, pour ne pas sortir du répertoire français ? Comment imaginer, autrement que le contre-ut en bandoulière, ces loosers qui font fondre le cœur des dames en clamant leur infortune ? Une blague de coulisses a longtemps circulé, reposant sur l’idée tenace que le quotient intellectuel des chanteurs à clé de sol était moins élevé que celui de leurs collègues à clé de fa, ce qui n’est pas toujours vrai : « On a dû m’enlever les trois-quarts du cerveau », annonce un ancien professeur de philosophie à un ami. « Et comment te sens-tu ? », demande l’ami. « Très bien, je suis devenu ténor. Je chante Werther à l’Opéra ». Précisons que Jonas Kaufmann, qui est affiché dans le rôle à l’Opéra Bastille, a failli être professeur de mathématiques, mais jamais de philosophie.
Crédit photo : Royal Opera House, Covent Garden/ Catherine Ashmore

Massenet : Werther. Avec Jonas Kaufmann, Sophie Koch. Michel Plasson (direction). A l’Opéra National de Paris Bastille, du 14 janvier au 4 février 2010.

dimanche 10 janvier 2010

Du théâtre et des divas


Il n’y a pas si longtemps, à l’époque où l’on enregistrait des opéras entiers en studio, les chanteurs étaient appréciés pour l’adéquation de leur voix à leurs rôles et la façon dont ils interprétaient leurs personnages. Quand ils publiaient des récitals, on les louait pour leur habileté à croquer un caractère en l’espace d’un seul air, c'est-à-dire, là aussi, à se mettre au service de leurs personnages. Puis sont venues les intégrales live, elles-mêmes relayées par les captations en vidéo. Dernier bastion de l’art du studio : l’album, c'est-à-dire le récital sur mesure inspiré des méthodes des variétés. Cecilia Bartoli a ouvert le ban avec son best seller Vivaldi. Habile double jeu : d’un côté la scène où l’on est censé servir une œuvre, de l’autre le disque, où l’on se sert soi-même à travers des extraits judicieusement choisis : Joyce Di Donato dans le répertoire de la Colbran (Madame Rossini), Vivica Génaux dans le Vivaldi guerrier et Magdalena Kozena dans le Vivaldi amoureux, Philippe Jaroussky dans des pages oubliées de Jean-Chrétien Bach, Juan Diego Florez sur les traces du ténor Rubini et Bartoli (encore elle) sur celles de la Malibran. Double bénéfice aussi : on se sert soi-même, mais en faisant œuvre de (re)découvreur. La recette plaît, et au fond, c’est tant mieux. On ne va pas demander aux divas de chanter des choses qui ne leur conviennent pas, ni d’abdiquer leur ego. « Si tant est que l’opéra soit du théâtre …», méditait Patrice Chéreau dans un petit ouvrage inspiré par son aventure bayreuthienne. Du théâtre et des divas. Il faut de tout pour faire un monde.

samedi 9 janvier 2010

La Villette, après le passage du président


Promenade à La Villette, où le président de la République est venu présenter ses vœux culturels. Entre la Cité de la Musique et le Zénith, le long du périphérique, le trou de l’Auditorium de Paris rappelle celui des Halles : deux mille quatre cents places pour remplacer en 2013 la salle Pleyel, alors dévolue aux variétés. Au même moment et à l’autre bout de Paris, Radio France ouvrira son nouvel auditorium de mille cinq cents fauteuils, en lieu et place de la salle Olivier Messiaen (ex-studio 104), et destiné, entre autres, à accueillir les deux orchestres maison. Ecartelés, les amateurs de symphonique, genre moins onéreux, mais moins tendance que l’opéra ! Actuellement, les concerts chers (grands orchestres en tournée, etc.) ont du mal à faire salle comble. Alors imaginez : le Philharmonique de Berlin à la Porte de Pantin (maquette sur la photo), ce sera très chic, mais qu’en dira le public des beaux quartiers, qui s’embouteillera sur le périphérique à défaut de prendre le métro ? Et les abonnés de l’Orchestre de Paris, locataire prioritaire de la nouvelle salle, suivront-ils leur phalange préférée jusqu’au grand-est parisien? Ils sont bien allés huit ans au Palais de Congrès (1973-1981) et quatre à Mogador (2002-2006), mais ce n’était pas, comme cette fois, le bout du monde ! Certes, les Londoniens vont jusqu’au Barbican Center, qui n’est pas précisément central, mais la notion de centre n’est pas la même là-bas qu’ici. Laurent Bayle, directeur de Pleyel et du projet de La Villette, évoque une nouvelle vie musicale, un nouveau public, une nouvelle donne. Il pense, pour reprendre l’idée de notre confrère Jacques Doucelin, à l’expérience de Gustavo Dudamel au Venezuela. On veut bien rêver avec lui.

vendredi 8 janvier 2010

Sarkozy, la culture, les sous

C’est à la Cité de la Musique que Nicolas Sarkozy présente ses vœux au monde de la culture. Le symbole est fort. Le symbole seulement. Passés les préliminaires – « la culture c’est des lettres plus que des chiffres, des émotions et non des statistiques » - le président passe aux choses sérieuses : les sous. La presse retient surtout les résultats des travaux de la mission confiée à Patrick Zelnik, directeur du label Naïve, éditeur de Sandrine Piau, d’Anne Gastinel et de Carla Bruni. Il s’agit de créer une carte musique jeune - 200 euros de potentiel d’achat à moitié remboursé par l’Etat -, destinée à « réhabituer les jeunes à acheter de la musique ». D’après les enquêtes officielles, les jeunes téléchargent illégalement parce que le téléchargement légal est trop cher. Alors, légalité payante ou illégalité gratuite ? Les débuts d’année sont dévolus aux vœux pieux. Le président est moins angélique à propos de Google : « Fuite de matière fiscale ». Il annonce aussi que le projet du Musée de l’histoire de France, dans les limbes depuis un an, devrait aboutir en juin. Une façon comme une autre de prolonger le débat sur l’identité nationale. Pas de commentaire particulier, en revanche, sur le chantier tout proche de la Philharmonie de Paris, que présente son architecte Jean Nouvel. Comme disait Sacha Guitry à propos de Versailles : « On nous dit que nos rois dépensaient sans compter, qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils, mais lorsqu’ils construisaient de semblables merveilles, ne mettaient-ils pas notre argent de côté ? »

jeudi 7 janvier 2010

Claudio Abbado et Lulu : projet ou fantasme ?


Lulu d’Alban Berg à La Scala de Milan, dirigé par Claudio Abbado et mis en scène par Michael Haneke. Un mirage, une erreur, un rêve d’après réveillon ? Non, un projet, au moins une éventualité, selon le magazine italien Classic Voice, relayé par le blog milano-new-yorkais Opera Chic. Si sa santé le lui permet, Abbado va faire son come back à La Scala en juin prochain, dans la Symphonie « Résurrection » de Mahler, vingt-quatre ans après avoir cédé le bureau directorial à Riccardo Muti. Mais un opéra ! Et quel opéra ! Familier de Wozzeck, Abbado a créé une frustration durable en enregistrant la Lulu-Suite en 1970, puis plus rien.

Quant à Haneke, qui a fait ses débuts de metteur en scène lyrique à Paris il y a quatre ans avec un Don Giovanni high tech et controversé, il affronterait le souvenir et les fantasmes suscités avant lui par Wieland Wagner, Patrice Chéreau, Peter Stein et quelques autres. Petit problème : une nouvelle Lulu est en préparation à La Scala pour avril, dans la mise en scène de Peter Stein importée de Lyon et dirigée par Daniele Gatti. On est content, en tout cas, qu’Abbado (soixante-seize ans) fasse des projets à long terme.

mercredi 6 janvier 2010

Artistes en résidence ou stars à domicile ?


« Artiste en résidence ». Pour l’abonné d’un orchestre, d’un festival, d’une société d’orgue ou d’un cycle de musique de chambre, cela veut dire que qu’il a intérêt à aimer l’artiste en question, car il va l’entendre souvent. Pour l’artiste, c’est une sécurité : une semaine, un mois, un an de travail confortable et rémunéré. Idem pour les organisateurs, à qui cela permet d’ancrer leur travail et celui des artistes dans une « réalité sociale, financière et culturelle à long terme » (selon les termes des dossiers de presse). En France, ce sont surtout les compositeurs qui sont en résidence. On a vu Bruno Mantovani à Lille, Karol Beffa à Toulouse et Marc-André Dalbavie auprès de l’Orchestre de Paris.

Ce qu’on n’a pas encore vu - ou de manière subliminale -, ce sont les stars en résidence. Puisque un compositeur de musique contemporaine, c’est chic, mais cela ne remplit pas la salle, les orchestres américains ont pris l’habitude de lui adjoindre un interprète qui, lui, la remplit. Cela donne Sofia Gubaidulina + Lang Lang, relayés par George Benjamin + Yo Yo Ma à San Francisco, ou Magnus Lindberg + Thomas Hampson à New York. Pour les stars, les résidences sont plus concentrées - une semaine une ou deux fois dans l’année -, mais aussi plus intensives : musique de chambre, master classes, showcases hors les murs, etc. Subventionnés comme ils le sont, nos grands orchestres ont-ils besoin de ce genre de produit d’appel ? Quant aux autres, par exemple les ensembles baroques, ont-ils les moyens de s’offrir Natalie Dessay en résidence, ne serait-ce que quelques jours par an ? Ce sont peut-être les sponsors, auxquels nos institutions font de plus en plus appel pour compléter les subsides publics, qui y penseront les premiers.

Photos : Karol Beffa, Marc-André Dalbavie

mardi 5 janvier 2010

Palais Garnier, Opéra Bastille : lequel est le plus jeune ?


L’impératrice Eugénie et Charles Garnier, devant le nouvel opéra en construction : « Qu’est-ce que c’est que ce style ? Ce n’est ni du grec, ni du Louis XV, pas même du Louis XVI. » « Non, ces styles-là ont fait leur temps. C’est du Napoléon III. Et vous vous plaignez ? ». Le 5 janvier 1875, quand son Palais est enfin terminé, Garnier est toujours là, mais l’empire n’est qu’un souvenir, et c’est Mac-Mahon, président de la république, qui l’inaugure. Seul bémol : on a oublié d’inviter l’architecte, qui doit payer sa place. Le spectacle est copieux : ouverture de La Muette de Portici d’Auber, les deux premiers actes de La Juive d’Halévy, ouverture de Guillaume Tell de Rossini, scène de la Bénédiction des poignards extraite des Huguenots de Meyerbeer, le tout arrosé d’un ballet de Delibes, La Source.

Cent-quatorze ans et cent-quatre-vingt-neuf jours plus tard, le 13 juillet 1989, l’Opéra Bastille est inauguré par François Mitterrand dans le cadre du bicentenaire de la Révolution, en présence de tous les chefs d’état de la planète. On n’a pas oublié d’inviter l’architecte Carlos Ott, mais personne ne se soucie de lui. On n’imagine d’ailleurs pas le président lui demandant de quel style est son monument, et on ne le voit pas répondre : « C’est du Mitterrand ». La principale préoccupation du chef de l’état, ce jour-là, est la longueur du spectacle. Comme il déteste la musique et qu’il craint que ses alter ego ne partagent son aversion, le défilé de stars (Alfredo Kraus, Shirley Verrett, Barbara Hendricks, Plácido Domingo, etc.) réglé par Bob Wilson et intitulé La Nuit avant le jour, ne dure qu’une heure.
Aujourd’hui 5 janvier 2010, cent-trente cinq ans après son ouverture, le Palais Garnier est un des monuments les plus visités de Paris, c’est à dire du monde. On y vient pour le spectacle autant que pour le coup d’œil sur la salle et les foyers. Vingt-et-un an et cent-soixante-seize jours après son inauguration, l’Opéra Bastille, lui, fait son office, sinon d’opéra populaire (utopie de départ), du moins de grande salle aux normes internationales. Rénové par tranches sur une période de quinze ans, le premier est solide comme le pont neuf. Le second, à peine ouvert, a commencé à se fissurer. On attend sa fermeture pour révision générale. Le Palais Garnier a été classé monument historique le 16 octobre 1923. Classera-t-on un jour l’Opéra Bastille ? Et d’ailleurs, tiendra-t-il assez longtemps ?

lundi 4 janvier 2010

La musique, fléau des acouphènes


Portable vissé à l’oreille, iPod à plein volume, soirées en boite et techno-parade : les acouphènes sont les fléaux des oreilles branchées. Pour soigner ces bourdonnements, sifflements ou tintements incessants, qui ne frappent pas que les clubbers mais affligent aussi les musiciens d’orchestre et même les discophiles drogués aux Symphonies de Chostakovitch, l’Institut de Biomagnétisme et d’Analyse du Biosignal de l’Université Wilhelms de Westphalie (Munster, Allemagne) prépare un traitement purement musical. Soumis, à raison de douze heures par semaine, à des musiques débarrassées des fréquences correspondant à celles de leurs bourdonnements, sifflements, etc., un groupe de patients-cobayes a constaté une baisse significative des symptômes. Les chercheurs travaillent à une réorganisation du cortex auditif, dont il s’agit de recâbler dans des tons différents les parties devenues suractives, ou (plan B) à soumettre les neurones auditifs concernés à une « dépression à long terme » entraînant une diminution de leur sensibilité maladive. Brrr ! Avant qu’un Copenhague de la pollution sonore ne devienne nécessaire, mieux vaut écouter Speak low (Kurt Weill - 1943) que de se condamner au Vol du bourdon (Rimski-Korsakov - 1900).

dimanche 3 janvier 2010

Carmen par Gardiner : quand la musique joue le jeu


« A l’opéra, le seul maître à bord, c’est le chef », disait en substance Toscanini, prêchant pour sa paroisse. La remarque prend son sens devant un spectacle comme Carmen, donné en mai dernier à l’Opéra-Comique et diffusé par France 3 en ce premier week-end de 2010 (trois semaines après … Carmen sur Arte, en direct de La Scala). Tant pis pour la mise en scène, plate, pour le décor, cheap, pour les costumes, ternes. Avec son Orchestre Révolutionnaire et Romantique (il fallait oser un tel nom), John Eliot Gardiner nous en fait voir, lui, de toutes les couleurs, et des plus belles. Mais cela, on s’y attendait. Ce qui est troublant, dans l’affaire, c’est que ce sont très clairement les options musicales qui déterminent l’intérêt dramatique. Parce qu’elle est soprano, cette Carmen (Anna-Caterina Antonacci) joue sur l’ironie, sur l’insoutenable légèreté de l’être plutôt que sur la sensualité, et échappe ainsi à tous les clichés du rôle. Parce qu’il use (comme à l’époque) de la voix de tête, ce Don José (Andrew Richards) peut jouer la scène finale comme en rêve, jusqu’à ce qu’il se réveille, et tue. On aurait bien sûr aimé que l’œil et l’oreille soient au diapason. Mais peut-être que le vrai talent du metteur en scène Adrian Noble consiste à s’être souvenu de la sentence de Toscanini.

samedi 2 janvier 2010

Arts plastiques, arts dynamiques : le sens interdit


Une exposition John Cage au Musée d’art contemporain de Barcelone, une autre intitulée « De la scène au tableau » à Marseille (celle où, la semaine dernière, un Degas a été volé) : on n’en finit pas de rechercher les difficiles connexions entre arts plastiques et arts dynamiques. Dans le cas de Cage, le pont est un boulevard : son 4’33’’ (…de silence - 1952) a inspiré les plasticiens, son ami Marcel Duchamp en tête, beaucoup plus que les musiciens, et Robert Rauchenberg a nourri le pop art en devenir de son travail en trio avec le musicien et le chorégraphe Merce Cunningham. On peut, à l’inverse, trouver des traces des arts plastiques dans la musique de Cage : son illustration sonore d’un documentaire sur Alexandre Calder en est la meilleure preuve. Mais les autres ? Schoenberg, le professeur de Cage, était presque aussi bon peintre que compositeur, mais la frontière entre son œil et son oreille était assez étanche. Stravinsky et Picasso ? Une amitié, un décor pour le ballet Pulcinella, un portrait de l’un par l’autre - génial et tellement nouveau que les douanes suisses le prendront pour un message codé -, une pièce pour clarinette solo intitulée Pour Pablo Picasso. Les artistes se fréquentent, élaborent des projets communs, mais allez, par exemple, démontrer dans quelle mesure la musique de Pascal Dusapin et la « peinture de lumière » de James Turrell sont l’une par l’autre influencées dans la pièce scénique To be sung.

John Cage, l’anarchie du silence. Musée d’art contemporain de Barcelone, jusqu’au 10 janvier.
De la scène au tableau. Musée Cantini, Marseille, jusqu’au 3 janvier.

vendredi 1 janvier 2010

Georges Prêtre à Vienne, bis repetita


Cinquante-deuxième Concert du Nouvel an à Vienne, retransmis par France 2, en Eurovision. Les valses de Strauss sont précédées par le Te Deum de Charpentier sous la direction du Révérend Père Martin. C’est ça l’Europe. A part cela, pas grand-chose à signaler, si ce n’est que Georges Prêtre est au pupitre, comme il y a deux ans. Cette fois, le Français mieux aimé à Vienne que dans son pays natal se fait plaisir : la mine gourmande et la baguette vagabonde, il laisse les musiciens jouer « dans la tradition ». Le résultat rappelle l’époque (1955 - 1979) où Willi Boskosky, Konzertmeister maison, dirigeait ses pairs, le violon à la main : tempos modérés, premier temps bien marqué, pesanteur générale. Zappés Karajan (1986), Kleiber (1989 et 1992), et même Maazel, Abbado, Muti, Mehta, Harnoncourt ou Barenboim, successeurs luxueux de Boskovsky aux commandes de la manifestation classique la plus regardée au monde (et désormais sponsorisée par Rolex, partenaire de l’Orchestre). Interrogés par des journalistes français, des membres du Philharmonique de Vienne établissent il y a quelques années le Top five des élus : Zubin Mehta vient en tête, suivi de Riccardo Muti. « Et Carlos Kleiber ? », s’inquiète quelqu’un. « Ah oui, c’est vrai, il a aussi dirigé le Concert du premier de l’an ». Selon que vous serez sur scène ou dans la foule, les mouvements du chef paraîtront blancs ou noirs.
A propos : bonne année !

The War : tendance lourde et grande musique


Petite passe d’armes avec Pablo Galonce, coéquipier de Musikzen et historien de formation, qui suit avec passion sur Arte la série The War. Le documentariste Ken Burns, connu pour avoir réalisé un formidable travail sur la guerre de Sécession, y raconte la seconde Guerre mondiale vue d’Amérique, à travers les témoignages de combattants anonymes venus de quatre petites villes. Une sorte de Chagrin et la Pitié d’outre-Atlantique, en somme. Je reproche à Burns de céder à un ton sentimental à la Spielberg. Tendance lourde de l’historiographie, rétorque Pablo Galonce. Nous nous retrouvons en revanche sur le terrain de la musique : pas de John Williams ici, mais une utilisation exemplaire du répertoire classique. C’est lui qui nous en parle :

« Il y a beaucoup de bonnes raisons de suivre The War, l’excellente série sur la Deuxième Guerre Mondiale qu’Arte programme pour les fêtes de fin d’année. Parmi les meilleures : son commentaire musical. Le générique est signé Wynton Marsalis. Nat King Cole ou Gershwin chanté par Sinatra nous ramènent à l’Amérique des années 1940. Mais il y a aussi le Concerto pour violoncelle de Dvorak, le Trio pour cor, violon et piano de Ligeti, Nuages gris de Liszt, les Variations Enigma d'Elgar (dans une version pour piano), une pièce d’Arvo Pärt et bien d’autres merveilles encore. Si l’on lit attentivement le générique final, on voit défiler les crédits d’une quantité incroyable de morceaux classiques. Cela donne à la série une tonalité mélancolique, très éloignée des accents martiaux auxquels on aurait pu s’attendre, et qui en renforce le caractère intime. Le réalisateur Ken Burns suit une tendance lourde de l’historiographie récente : il s’attache moins à l’Histoire (Hitler, Churchill et Staline brillent par leur absence) qu’aux histoires de ceux qui ont combattu sur le terrain et à leurs familles. Mais sans perdre pour autant la rigueur historique : pour accompagner un épisode atroce de la guerre dans le Pacifique, il a choisi le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen ».