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vendredi 21 mai 2010

De la branchitude à l’opéra, leçon 3

Cette troisième et dernière leçon nous initie aux aspects philosophiques, voire métaphysiques de la méthode.

19) L’ennui du public est une forme d’art.

20). Il doit y avoir un tas de ferraille dans un coin, que l’on manipule sans raison, et qui s’écroule de préférence quand l’orchestre joue piano. Veiller à ce que les objets dangereux soient placés sur le bord du plateau, de manière que, quand les danseurs ont les yeux bandés, ils puissent shooter dedans et les envoyer dans la fosse d’orchestre.

21) Les apartés doivent être chantés face à celui qui est censé ne pas les entendre.

22). Les protagonistes doivent être maquillés en blanc, de manière à perdre toute individualité, toute variété dans leurs expressions. De toute façon, ils ne savent pas jouer. Ils ne sont là que pour prendre la pose et émettre de jolis sons.

23). Essayez de lire le livret à l’avance, pour être sûr qu’il ne se mettra pas en travers de vos idées. N’allez pas jusqu’à écouter un enregistrement de l’œuvre : ce n’est pas votre travail.

24) Faites en sorte que le chef se sente utile, même s’il n’est qu’un intrus, un manieur de premier degré.

25). Le metteur en scène doit bannir toute idée qui ne vient pas de lui, même si cette idée figure déjà dans cette liste.

26) Un costume doit répondre au moins à deux de ces critères : a) enlaidir le chanteur ; b) obscurcir sa vue ; c) l’empêcher d’entendre l’orchestre ; d) gêner ses mouvements ; e) être en contradiction avec l’époque indiquée par le livret (ce dernier point ayant à peine besoin d’être mentionné).

Voilà. Sans prétendre égaler les maîtres en la matière que sont Christoph Marthaler, Claus Guth ou Christof Loy, vous avez en mains les éléments qui vous permettront de percer les secrets du Regietheater tel qu’il est pratiqué sur la plupart des scènes lyriques. Faites-en bon usage. Et si vous pensez aux pyramides en écoutant Aida, s’il vous arrive d’imaginer Wotan vêtu de peaux de bêtes et Manon en robe à paniers, apprenez par cœur ces vingt-six préceptes. Vous pourrez vous les réciter et échapper ainsi à toute tentation de révisionnisme dramaturgique.
François Lafon

Illustration : Le Roi Roger de Karol Szymanowski, mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Opéra National de Paris.

mercredi 19 mai 2010

De la branchitude à l’opéra, leçon 2

Les huit premiers préceptes de « How to opera germanly » ont posé les principes de base de la méthode. Avec cette deuxième leçon, nous en abordons quelques aspects plus pratiques.


9) Les scènes de sexe doivent être sans charme, agressives même. Le must : se rouler par terre.

10) Des comportements homosexuels sans motif apparent doivent émailler l’action.

11) Le happy end est une faillite intellectuelle. Jouer le contraire. Ajouter si possible un meurtre.

12). Eviter à tout prix de plaire au public. S’il siffle, vous avez gagné.

13) Répétez l’opération jusqu’à ce que celui-ci soit mort. Très important.

14) Toute allusion à la beauté ou au mystère de la nature doit être évitée. Le décor doit être prosaïque, contemporain et décrépit. N’oubliez pas les lumières fluorescentes. Les lampes à arc sont aussi admises.

15) Le public ne doit pas savoir à quels moments il peut applaudir ni quand la scène/l’acte se termine.

16) Les atrocités de l’histoire, comme l’Holocauste ou le sida, doivent être le plus possible exploitées. Les mœurs du public doivent aussi être tournées en dérision.

17) Les couleurs relèvent de l’opéra culinaire : du noir, du blanc, du gris, rien d’autre.

18). Les choristes doivent avoir le crâne rasé, être sans sexe, sans visage et en trench coat.

François Lafon
Illustration : mise en scène de Cristoph Marthaler de Tristan et Isolde de Richard Wagner au Festival de Bayreuth. Crédit photo : Enrico Nawrath

lundi 17 mai 2010

De la branchitude à l’opéra, première leçon

Depuis son apparition sur la toile au début du XXIème siècle, « How to opera germanly » (« Comment monter un opéra à l’allemande », ou plutôt « allemandement ») reste un mystère. L’auteur en serait un chanteur et/ou metteur en scène préférant rester anonyme pour ne pas se griller dans le métier. Certains prétendent qu’il s’agirait du compositeur et ex-ténor wagnérien Gary Bachlund, lequel en a livré une très sérieuse version commentée. La charge contre l’école germanique de mise en scène est grosse, et l’ensemble dégage un désagréable parfum de réaction (c’est la loi du genre). Mais quel meilleur remède à l’overdose qui nous guette de Haendel en treillis, de Mozart au fast food et de Wagner façon Mad Max ? Il circule diverses versions de « How to opera germanly », plus ou moins augmentées et parées de variantes. L’urtext est en (mauvais) anglais. Le voici en (mauvais ?) français. Il est en vingt-six points. Pour vous permettre de l’assimiler plus facilement et devenir ainsi un as du Regietheater (théâtre de metteur en scène), comme on dit outre-Rhin, nous vous le proposons en trois leçons. Aujourd’hui : les huit premiers préceptes.


1)Le metteur en scène est l’élément essentiel du spectacle. Sa vision passe avant celles du compositeur, du librettiste, des chanteurs et surtout du public, composé d’idiots repus qui ne demandent qu’à être distraits et émus.

2) Le deuxième élément important est le scénographe.

3) La comédie est verboten, sauf si elle est fortuite. Laissons l’humour à ces abrutis de téléspectateurs.

4) Le jeu scénique doit être intense : on se roule par terre, on grimpe aux murs, on s’assoit sur le plancher nu.

5) L’attention du public doit se porter sur tout, sauf sur la personne qui est en train de chanter. Un air - forme musicale déjà démodé au siècle denier - doit être accompagné par des gens exprimant de la façon la plus triviale le mal être que leur inspire celui ou celle qui chante.

6) La fidélité au livret est passible de l’anathème, comme la peinture réaliste l’est pour le peintre abstrait. Ne racontez pas l’histoire, commentez-la. Mieux : dynamitez-la!

7) Quand il pousse une note aiguë, le chanteur doit être plié en deux, allongé par terre ou dos au public.

8) A certains moments, la musique doit s’arrêter, pour une raison obscure, mais intense.
François Lafon

Illustration : Mise en scène de Stefan Herheim de L'Enlèvement dans le sérail de Mozart (Festival de Salzbourg, 2003). Photo: Karl Forster

vendredi 14 mai 2010

L’opéra tue : John Malkovich en sait quelque chose

Vertu du hasard ? A ma droite, une reprise des Contes d’Hoffmann d’Offenbach à l’Opéra Bastille, dans la mise en scène intelligente de Robert Carsen : un théâtre (où l’on joue … Don Giovanni), une cantatrice protéiforme, un poète qui se détruit à vouloir tenter le diable et vivre les passions des simples mortels. Public bon enfant, assez « opéra comique à l’ancienne », qui fait un triomphe au ténor Giuseppe Filianoti, très convaincant dans le rôle casse-voix d’Hoffmann, et à Laura Aikin en Poupée nymphomane imaginée par Carsen pour Natalie Dessay, vedette du spectacle lors de sa création en 2000.
A ma gauche, The Infernal Comedy, Confessions d’un serial killer au Palais Garnier. Représentation unique (c’est une tournée mondiale), public chic et international pour John Malkovich jouant Jack Unterweger, un tueur de femmes doué pour l’écriture et stimulé à son corps défendant (si l’on peut dire) par la voix des cantatrices. Pour assouvir ses fantasmes, un orchestre (le Wiener Akademie, élégamment dirigé par Martin Haselböck) et deux divas chantant (fort joliment) Vivaldi, Haydn, Mozart, Gluck et Weber : Aleksandra Zamojska et Bernarda Bobro. Dans les deux spectacles, les charmes délétères d’Eros et de Thanatos à travers la voix féminine sont en question. John Malkovich, illusionniste de haut vol en grand ordonnateur des pompes (funèbres) opératiques, ferait - s’il était chanteur - un Hoffmann formidable, si ce n’est que sa voix, même avec l’accent autrichien qu’il prend pour incarner Unterweger, est toute de menace et d’insinuation, à l’exact opposé du ténor claironnant imaginé par Offenbach. Dans un cas comme dans l’autre, et pour reprendre le thème mis à la mode par Catherine Clément dans les années 1980, l’opéra est la défaite des femmes, mais elle n’est pas moins celle des hommes.

François Lafon

Offenbach : Les Contes d’Hoffmann. Robert Carsen (mise en scène), Jesus Lopez-Cobos (direction). A l’Opéra National de Paris – Bastille, les 17, 20, 23, 26, 29 mai, 1er, 3 juin.
The Infernal Comedy. Théâtre musical de Michael Sturmiger et Martin Haselböck. Paris, Palais Garnier (13 mai)
Catherine Clément : L’opéra ou la défaite des femmes – Grasset (1979)

Crédit photo : Opéra national de Paris/ Frédérique Toulet - The Infernal comedy/ Nathalie Bauer

samedi 8 mai 2010

Au TCE, La Calisto dans le tunnel

Fragilité de certaines œuvres. N’importe où, n’importe comment, Carmen ou Don Giovanni résistent. La Calisto, non. Ce curieux « dramma per musica », composé à Venise en 1651 par Cavalli, le plus adulé des successeurs de Monteverdi, a connu deux résurrections, après trois siècles de coma dépassé. A Glyndebourne d’abord (1970), où le public smart s’est reconnu dans cet univers où tout est libido sous des allures gracieuses, à Bruxelles ensuite (1993), où Herbert Wernicke (mise en scène) et René Jacobs (direction) ont projeté dans les étoiles l’histoire de la nymphe transformée en constellation. De Glyndebourne, l’œuvre a tiré la réputation d’être « irrésistible de drôlerie » (grâce, en particulier, au ténor Hugues Cuénod en travesti paillard), de Bruxelles celle d’être une source intarissable d’invention dramatico-musicale. Au Théâtre des Champs-Elysées, où Macha Makeïeff (mise en scène) et Christophe Rousset (direction) s’y attellent aujourd’hui, on ne voit qu’une interminable antiquité. Que s’est-il passé ? Rien, justement. La musique est belle, sensuelle, fort bien interprétée (Rousset est impeccable, Lawrence Zazzo, Sophie Karthäuser, Véronique Gens irréprochables), l’histoire est toujours aussi (dé)culottée, et le spectacle évite la vulgarité. Mais voilà, il n’y a pas la grâce. Et dire que le miracle de Bruxelles a été vu partout, sauf à Paris ! Il a au moins été filmé (DVD Harmonia Mundi), mais la mise en boite l’a un peu émoussé. La Calisto (qui veut dire la Belle, en grec) est-elle repartie pour un long sommeil ?

François Lafon


Au Théâtre des Champs-Elysées, Paris, les 9, 11 et 14 mai.

Crédit photo : Alvaro Yanez

vendredi 30 avril 2010

Elektra à Toulouse : Strauss ou Nietzsche ?

Avec Nietzsche, la rationalité philosophique se découvre un nouveau lieu : la vie et la volonté de puissance. La vie est ce qui doit se dépasser sans cesse ; ce dépassement est l’œuvre d’une puissance qui se veut elle-même toujours plus forte, plus destructrice. Avec Nietzsche, l’écriture philosophique trouve aussi un nouveau style ; ce qui est dit est énoncé comme une danse extatique et dionysiaque proche de l’incantation. Cette césure de l’histoire de la pensée s’exprime admirablement dans l’Elektra de Strauss. Du point de vue de l’écriture musicale d’abord, avec l’utilisation géniale du leitmotiv et du contrepoint qui traduisent l’affrontement de la vie et de la mort, de la violence et de la quête d’un repos, de l’amour du père et de la haine de la mère. Le rôle dévolu à l’orchestre contribue aussi à ce parallèle: il indique ce que les personnages ne peuvent pas montrer, il dit ce que les voix n’osent pas exprimer ; son discours est cryptique comme les livres de Nietzsche. L’orchestre est comme le dédoublement d’Elektra, dans une puissance qui la dépasse et en laquelle elle se reconnaît pourtant : « Si je n’entends pas cette musique, elle vient de moi ! » chante-t-elle. La production reprise par le Théâtre du Capitole, avec la magistrale direction d’Hartmut Haenchen et dans une mise en scène de son ancien directeur Nicolas Joël, honore cette interprétation de l’œuvre, elle la suggère. La transposition de la tragédie de Sophocle à l’époque de Strauss rend cet opéra presque élégant et montre les horreurs qui peuvent se cacher derrière une certaine beauté plastique. Susan Bullock est particulièrement convaincante dans son interprétation scénique et notamment sa gestuelle lors de sa « danse de mort » à la fin. Elle n’échappe pas à la difficulté d’ajuster sa voix à la puissance de l’orchestre, comme tous les autres chanteurs, mais elle convainc par la force tragique qu’elle invente à chaque étape de cette histoire de conjugicide et de matricide. La Halle aux grains, où sont donnés les spectacles du Capitole en cours de rénovation, contribue par sa disposition géographique à cette ressemblance nietzschéenne : le public s’y découvre partie prenante d’un chœur, d’où sortent tour à tour Oreste et Clytemnestre.

Katchi Sinna


Richard Strauss : Elektra. Avec Susan Bullock, Silvana Dussmann, Agnes Baltsa- Nicolas Joël (mise en scène), Hartmut Haenchen (direction) - Toulouse, Halle aux Grains, les 2, 5, 9 mai.

Crédit photo : © Patrice Nin

dimanche 11 avril 2010

Mignon à l’Opéra Comique : la nostalgie, camarade

2062ème représentation de Mignon à l’Opéra Comique. Quel succès ! Mais seules nos grands-mères s’en souviennent. Créé en 1866, l’ouvrage fête sa centième huit mois plus tard, sa millième en 1894, sa deux-millième en 1955. Puis, assez vite, plus rien. On en veut à Ambroise Thomas d’avoir ravalé Goethe (Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister) au rang d’un auteur de gare, d’avoir déposé de la musique facile le long de (ce qu’il reste de) ses vers, d’avoir même inventé un happy end pour « ne pas se priver de 700 ou 800 représentations supplémentaires ». Le reproche n’est pas nouveau : en 1893, Debussy traînait dans la boue ses confrères Gounod et Massenet, qui avaient transformé Faust et Werther en romances pour boutiquiers. Aujourd’hui, ce n’est plus au mélomane petit bourgeois que l’on s’adresse, mais au philologue : comme à l’époque, on joue la version originale avec textes parlés, l’orchestre est tourné vers la scène - ce qui fait que François-Xavier Roth dirige face au public - et le happy end est conservé, alors que Thomas lui-même a composé une version alternative plus conforme à Goethe. Comme la mise en scène de Jean-Louis Benoit dépoussière la tradition sans la jeter aux orties, comme la direction est alerte et que la distribution frôle le sans faute, cela fonctionne, et ces trois heures de roman feuilleton lyrique passent sans trop se faire sentir. Traité ainsi, ce Mignon d’un autre âge vaut bien des fadaises qui n’ont jamais quitté le répertoire, et l’Opéra Comique honore son cahier de charges. A l’opéra, la nostalgie n’a jamais fini de faire recette.

François Lafon

Ambroise Thomas : Mignon. Avec Marie Lenormand, Ismael Jordi, Malia Bendi-Merad, Nicolas Cavallier. Chœur Accentus, Orchestre Philharmonique de Radio France, François-Xavier Roth (direction), Jean-Louis Benoit (mise en scène). A l’Opéra Comique, Paris, les 12, 14, 16, 18 avril.

Crédit photo : Elisabeth Carecchio

vendredi 9 avril 2010

Massacre, ou l’opéra gratté jusqu’à l’os

Pour deux soirs, dans la salle ovale de la Cité de la Musique transformée en théâtre, on joue un opéra du compositeur et organiste autrichien Wolfgang Mitterer, lequel tente à la fois de remonter aux sources du genre et d’en atteindre l’essentiel. Rien que ça ! Cela s’appelle Massacre, avec pour matériau de départ Massacre à Paris, la pièce plus élisabéthaine que nature à laquelle Christopher Marlowe travaillait quand il a lui-même été assassiné. En perdant sa localisation, cette transposition à chaud de la Saint Barthélémy (1593, moins de vingt et un ans après les faits) devient une suite de tableaux intitulés Tuerie, Damnation ou Chagrin. Il y a cinq chanteurs et une danseuse, qui jouent le duc de Guise, le roi de Navarre, Henri III, Catherine de Médicis, ou plutôt leur idée, voire leur spectre, filmé en direct et projeté sur un écran à la manière des débuts du cinéma, quand l’image donnait l’impression de passer à travers les acteurs. Peu d’action, sinon la mort et la souffrance qui la précède, le tout porté par une musique raffiné et bourrée de références, jouée par le Remix Ensemble, et sans cesse bousculée, tordue, exacerbée par une électronique elle-même très travaillée (le spectacle fait partie d’un cycle « Multimédia et temps réel »). Pendant une heure-vingt, on prend dans la figure la matière brute autour de laquelle l’opéra s’est développé : la voix poussé jusqu’à ses limites, le corps magnifié et torturé, la transgression des tabous. Plus longtemps, plus appuyé, ce serait fatiguant, mais ainsi, donné avec une sorte de froideur dans le paroxysme par le metteur en scène Ludovic Lagarde, cela démonte assez bien le mécanisme du théâtre élisabéthain, assez proche de celui de l’opéra, qui consiste à prendre le spectateur par surprise, parfois à le faire rire au milieu de l’horreur, ou à lui faire admettre que les codes de jeu les plus invraisemblables sont ceux qui s’approchent le plus de la vraie vie.
François Lafon
Paris, Cité de la Musique, Salle des concerts, 8 et 9 avril à 20 h.

Crédit photo : © João Messias-Casa da Música

jeudi 1 avril 2010

Treemonisha de Scott Joplin au Châtelet : ragtime et lendemains qui chantent

Au Châtelet, escalade dans l’éducation du public français au répertoire américain. Après La Mélodie du bonheur (facile) et A Little Nigt Music (déjà plus élitiste), voici Treemonisha. Le titre n’est pas vendeur, et seul le nom du compositeur, Scott Joplin, éveille un quelconque souvenir, où se mélangent ragtime et BO du film L’Arnaque. Il s’agit en fait du premier opéra noir (1911, vingt-trois ans avant Porgy and Bess de Gershwin), un OVNI lyrique monté une seule fois – et dans des conditions semi-amateurs – du vivant de Joplin, et oublié jusqu’en 1972. Pour donner ses chances à l’ouvrage, qui n’a bien sûr jamais été donné en France, quelques noms à l’affiche : Willard White (le Wotan de Simon Rattle à Aix-en-Provence), Grace Bumbry (soixante-treize ans et toute sa voix), et la chorégraphe Bianca Li, secondée par le plasticien et dramaturge Roland Roure. Le livret est mal ficelé, la musique oscille entre ragtime forcené et opéra italien balayé par le vent des champs de coton, et le propos a vieilli, puisqu’il s’agit de montrer à la communauté noire à peine sortie de l’esclavage que c’est dans l’éducation (personnifiée par une enfant trouvée, choyée par des noirs mais instruite par une institutrice blanche) que réside l’espoir de lendemains qui chantent. Comme l’impression d’assister à un proto-opéra est accentuée par l’aspect BD du spectacle, on peut n’en retenir que le côté entertainment (Ah, ces noirs, quel rythme !), et pourtant on sent que c’est quelque chose de beaucoup plus important qui nous est montré là, comme l’obscure prémonition qu’il faudra tout un siècle pour commencer à changer le monde.
François Lafon
Au Théâtre du Châtelet, Paris, les 2, 4, 6, 8 et 9 avril à 20h.

lundi 22 mars 2010

Robert Badinter : la mort en chantant

Robert Badinter aime beaucoup l’opéra. Pas étonnant de la part d’un avocat : on s’assassine beaucoup dans le monde lyrique (sur scène bien sûr ; en coulisse, les crimes sont plus métaphoriques). En ce moment, il écrit un livret pour le compositeur Thierry Escaich. Le thème : les dernières heures d’un condamné à mort. Comme il est co-commissaire, avec Jean Clair, de l’exposition « Crime et châtiment » au Musée d’Orsay, il ne sort pas de son sujet. Il a déjà, en 1995, tâté de la scène avec C.3.3, une pièce sur la condamnation d’Oscar Wilde pour homosexualité (C.3.3., c’est le numéro de la geôle de Reading où l’écrivain a été enfermé). Le spectacle a remporté un « succès d’estime », c’est à dire qu’il n’a pas marché, et la pièce, qui tient davantage de la plaidoirie que de l’action dramatique, n’a jamais été reprise. Un livret d’opéra, c’est plus contraignant, mais aussi plus sécurisé. Impossible d’être bavard, la musique, qui ralentit tout, vous oblige à condenser. Difficile d’être dogmatique : la musique, qui travaille dans le sensible, va vous contredire. Interdit de pratiquer le double-sens, le non-dit, le sous-texte : la musique est là pour ça. Envahissante, la musique ? Pas si elle sait dialoguer avec l’action. L’opéra, qui est affaire de dialectique, lui demande avant tout de ne pas faire cavalier seul. Pourquoi ne donne-t-on jamais Pénélope ? Parce que la musique de Fauré est superbe, mais elle roule toute seule, indifférente à ce qui se passe sur scène. En revanche, Paillasse fonctionne très bien, et tant pis pour ceux qui en trouvent (à raison) la musique grossière. Ne voyez dans tout cela aucun non-dit quant à l’association de Thierry Escaich, compositeur spécialisé dans la musique sacrée, avec Robert Badinter, l’homme qui a fait abolir la peine de mort en France. Dans l’imagerie populaire, l’image de la guillotine se découpe souvent sur fond de ciel sans nuage.

Exposition Crime et châtiment. Jusqu’au 27 juin. Paris, Musée d’Orsay.

dimanche 21 mars 2010

A La Scala, un Tannhäuser catalano-bollywoodien


Polémique à la Scala de Milan à propos de la mise en scène du Tannhäuser de Wagner par La Fura dels Baus. Images choc, éclairages virtuoses, vidéos en folie : le collectif catalan déploie son arsenal habituel. Mais la grande idée du spectacle est que la rédemption de l’artiste déchiré entre l’empire des sens et l’aspiration à la pureté passe mieux si l’action est transposée dans une Inde colorée par le folklore bollywoodien. L’argument est recevable : là-bas, on fait encore la route à pied pour aller se purifier dans les eaux du Gange, alors qu’ici, on n’a pas encore vu Michel Houellebecq déguisé en Tannhäuser, se traînant jusqu’à Rome pour recevoir l’absolution papale.
Puisque l’actualisation est à la mode, il faut bien trouver des équivalences culturelles. On a vu à l’Opéra Bastille un Barbier de Séville déplacé par Colline Serreau dans le Maghreb (où l’on enferme encore les filles à marier), à la Cartoucherie un Tartuffe devenu islamiste par les bons soins d’Ariane Mnouchkine, et au Châtelet un Padmâvati (de Roussel) déjà bollywoodien, avec éléphants roses et jeunes premiers gominés. Les civilisations traditionnelles sont décidément bien utiles pour donner un coup de jeune (si l’on ose dire) à des intrigues qui ne sont plus de chez nous. C’est toujours plus raffiné que de transporter la prison de Fidelio à Guantanamo ou le séisme du Roi d’Ys à Haïti. Ce qui a le plus choqué, dans le Tannhäuser de La Scala, c’est la scène filmée où l’on voit Jean-Paul II vouer à l’enfer ceux qui ont commis le péché de luxure. Comme quoi il n’est pas toujours indispensable d’aller jusqu’en Inde pour se retrouver au XIXème siècle.

Wagner : Tannhäuser. Mise en scène : La Fura Dels Baus – Direction : Zubin Mehta – Milan, Scala, les 20, 24, 27, 30 mars, 2 avril.

vendredi 19 mars 2010

Faust de Philippe Fénelon au Palais Garnier : « Je t’aime, moi non plus »

Création parisienne de Faust, à l’Opéra. Faust, une création ? Oui, celui de Philippe Fénelon, un des derniers en date, après ceux de Pascal Dusapin (Faustus, the last night) et de John Adams (Doctor Atomic). Gounod et Berlioz sont bien loin. Il ne s’agit pas d’une vraie création, puisque l’œuvre a déjà été donnée en 2007 au Capitole de Toulouse. Est-ce pour cela qu’on n’en parle pas beaucoup ? Pas seulement, bien sûr. Ce Faust, inspiré de Lenau et non de Goethe, est un grand morceau de poésie philosophique, dont Fénelon a fait une sorte d’oratorio en sept tableaux, un prologue et un épilogue, paré d’une musique truffée de références et de citations, et illustré par une mise en scène spectaculaire mais glacée du scénographe Pet Halmen, qui en accentue le côté rituel. C'est-à-dire qu’on n’est pas là pour s’amuser, mais au moins pour réfléchir, en tout cas pour faire appel à toute la culture philosophique dont on dispose. Toujours le même paradoxe : pour offrir à l’opéra un hypothétique avenir, on tente de l’exorciser, de le rendre digne de le faire coexister avec la musique « pure ». Alors que faire ? Obliger Dusapin et Fénelon à composer comme Andrew Lloyd Weber, voire à faire des « à la manière de » Puccini ? « Ridicule ! », direz-vous (et vous aurez raison de le dire). Fénelon est un passionné d’opéra, il a écrit des textes éclairants sur les chefs-d’œuvre du répertoire (Histoires d’opéras – Actes Sud, 2007). Alors pourquoi son Faust est-il si raide, si pompeux, si conforme au « Je t’aime, moi non plus » dont le genre souffre depuis un demi-siècle ? Est-ce parce qu’à la création de son Salammbô tiré de Flaubert, en 1998 à l’Opéra Bastille, il a été qualifié de Saint-Saëns du XXème siècle ? Quand verra-t-on un ouvrage nouveau créer l’événement, et ne pas être soupçonné de répondre seulement à une obligation du cahier des charges ?

Crédit photo : Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca


Faust de Philippe Fénelon. Mise en scène et décors : Pet Halmen. Direction musicale : Bernhard Kontarsky- A l’Opéra de Paris, Palais Garnier, les 20, 23, 29 et 31 mars.

vendredi 12 mars 2010

Anna Nicole, scandale annoncé au Covent Garden

Si Anna Nicole fait autant de grabuge que Jerry, Covent Garden tiendra mieux qu’un succès, un scandale! Vous ne comprenez rien ? Explication : Anna Nicole (Smith), c’est une playmate aux allures de Marilyn, qui a épousé un magnat du pétrole de soixante-trois ans son aîné avant de mourir d’une overdose en 2007. A partir de cette histoire dont les tabloïds britanniques n’ont pas manqué un épisode, le compositeur Mark Anthony Turnage et le librettiste Richard Thomas ont imaginé un opéra qui sera créé le 17 février 2011 sur la première scène lyrique du royaume. Richard Thomas est célèbre en Angleterre pour être l’auteur de Jerry Springer, the opera (2003), un musical qui a mis en émoi les ligues de vertu et dont le héros est l’animateur d’une émission de télé trash, où l’on voit couples et familles laver leur linge sale devant un public chargé d’attiser le feu (le show en question est diffusé ici sur une chaîne câblée - je ne vous dirai pas laquelle -, et il en existe même une version française). Mis en scène par le très sérieux Richard Jones, Anna Nicole sera incarnée par la soprano néerlandaise Eva-Maria Westbroek, que l’on a vue à Aix dans La Walkyrie et à la Bastille en Lady Macbeth de Mzensk. Imaginez Pascal Dusapin s’associant avec Laurent Ruquier pour un écrire un opéra sur Lolo Ferrari ! Ici, on préfère commander un Faust à Philippe Fénelon (première parisienne le 17 mars au Palais Garnier). Cela fait moins jaser, mais la réputation du service public est sauve.

dimanche 7 mars 2010

L’Or du Rhin à la Bastille : le miroir déformant de Günter Krämer

La malédiction du Nibelung serait-elle conjurée à l’Opéra de Paris ? Depuis 1957, impossible d’y donner les quatre volets de La Tétralogie. La dernière fois, en 1976, l’entreprise n’était pas allée plus loin que La Walkyrie, laissant exsangues des pointures telles que Georg Solti, Peter Stein et Klaus Michael Grüber (censés monter deux opéras chacun). Pourquoi s’obstiner, puisqu’on en a vu depuis des cycles complets au Théâtre des Champs-Elysées (en concert et sur scène), au Châtelet (par deux fois) et, récemment, au festival d’Aix ? Tout simplement parce qu’une maison qui ne vient pas à bout de ce monument qui est à l’opéra ce que Le Soulier de satin est au théâtre est suspectée de ne pas être bien tenue. Aujourd’hui donc, L’Or du Rhin. La Walkyrie suivra fin mai, et les deux autres « journées » la saison prochaine. Dans la fosse : Philippe Jordan, pour ses débuts de directeur musical. Sur le plateau, la mise en scène de Günter Krämer, gloire du théâtre en Allemagne. Gros succès à la première, jeudi 4 mars. L’orchestre est allant et précis : Jordan a dû écouter son père Armin, chef wagnérien de type « méditerranéen ». Les chanteurs sont à la hauteur, avec l’Anglais Kim Begley en Dieu du feu façon Fratellini, et une incroyable contralto chinoise, Qiu Lin Zhang, en Terre Mère aux allures de Sissi Impératrice. Car Krämer mélange les genres et brouille les codes. Pour nous montrer que le monde des dieux et des géants est un univers impitoyable, il fait appel au cirque, au cabaret, à la BD, à la SF. Il n’innove pas vraiment, mais achève de nous persuader qu’une lecture innocente du grand œuvre wagnérien est désormais impossible. Si La Tétralogie fascine toujours autant, c’est parce qu’elle nous tend un miroir à peine déformant. Ce qu’on y voit n’est pas flatteur. Tirez le rideau !

Crédit photo : Opéra national de Paris/ Elisa Haberer


Wagner : L’Or du Rhin. A l’Opéra de Paris Bastille, les 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28 mars.

vendredi 26 février 2010

Carmen, suite et peut-être pas fin

Encore Carmen ? Oui, mais pas n’importe laquelle, celle dont l’Opéra de Paris ne s’est jamais remise, celle « de » Raymond Rouleau, donnée au Palais Garnier du 10 novembre 1959 au 14 juillet 1970. Un site lui est consacré, préfigurant la sortie d’une monographie consacrée à l’événement, et ne nous laissant rien ignorer des distributions qui ont succédé à celle, très médiatique, de la première (Jane Rhodes sous la direction de son époux Roberto Benzi), ni du buzz, comme on dit aujourd’hui, suscité par le spectacle. Un extrait du papier de Denise Bourdet (l’épouse du dramaturge Edouard Bourdet, l’auteur du Sexe faible) dans Le Figaro littéraire suffit à rappeler que Raymond Rouleau n’avait rien à envier à Luchino Visconti, avec lequel il partageait la scénographe Lila de Nobili : " Le cortège entre dans les arènes, la foule le suit, et sur la scène désertée on aperçoit un groupe de mendiants accroupis contre un mur dont ils ont la couleur et l'immobilité de pierre. Ils restent là sans bouger pendant la scène finale, et ce n'est que sur le dernier cri de don José, Oh ma Carmen adorée, qu'ils se redressent silencieusement et se retournent pour regarder le meurtrier tandis que le rideau tombe."

Après cela, en 1980, l’opéra le plus joué au monde retournera à l’Opéra-Comique pour quelques représentations avec Teresa Berganza et Plácido Domingo, puis connaîtra à l’Opéra Bastille deux productions qui n’ajouteront rien à sa gloire. En 1990, quand Grace Bumbry, qui a chanté le rôle à Garnier et a alterné avec Jane Rhodes lors d’une tournée du spectacle au Japon, viendra essuyer les plâtres de l’Opéra Bastille dans Les Troyens de Berlioz, elle n’aura de cesse de trouver en vidéo le film de Jacques Becker Falbalas, où Rouleau joue un couturier bourreau des cœurs, et le programme de Dialogues d’exilés de Bertolt Brecht, le dernier spectacle joué à Paris pas l’acteur-metteur en scène. Elle garde un souvenir ébloui de celui qui, tel un Maurice Pialat du théâtre, aimait tant faire pleurer les actrices.

mercredi 24 février 2010

L’autre Dumas. Et si Depardieu était chanteur d’opéra ?


Ici, la polémique Dumas-Depardieu fait rage. En Amérique, où Depardiou est une star, elle étonne. Puisqu’aucun acteur français de couleur n’est bankable, pourquoi se priver d’une tête d’affiche ? On ne saurait être plus pragmatique. Et d’ailleurs, si le rôle avait échu à un acteur blanc mais moins connu, la polémique aurait-elle eu lieu ? Francis Perrin a joué pendant deux ans la pièce dont le film est tiré, et personne n’y a rien trouvé à redire. Ce qu’on remarque moins, c’est qu’au nom des grands principes, on en vient à nier l’art même de l’acteur, qui consiste justement à amener le spectateur à croire qu’il est ce qu’il n’est pas. Imaginez le monde de l’opéra saisi par la même bien-pensance. Plus d’Aida blanche passée au brou de noix, telle Sophia Loren (doublée par Renata Tebaldi) dans le film de Clemente Fracassi (1953). Et ne parlons même pas d’Otello, bien que l’Opéra de Birmingham ait, à l’automne dernier, fondé sa publicité sur le fait que, pour la première fois au Royaume-Uni, le rôle du Maure était chanté par un vrai noir ! On se rappelle les propos persifleurs de Franco Zeffirelli au sortir de la projection de La Bohème de Luigi Comencini (1988), avec Barbara Hendricks en Mimi. Daniel Toscan du Plantier, le producteur du film, avait pris la peine d’expliquer qu’au XIXème siècle, quelques filles des îles venaient tenter leur chance en métropole, mais la majorité des commentateurs avait renvoyé Zeffirelli à ses chères études. On ne sait pas, en revanche, si celui-ci s’était fendu d’une plaisanterie politiquement incorrecte lorsque la soprano afro-américaine Martina Arroyo avait chanté Madame Butterfly au MET de New York (1970), avec kimono à fleurs et aiguilles à tricoter dans les cheveux. Au début des années 1980, le baryton-basse Simon Estes s’était vu refusé le rôle de Wotan à Bayreuth parce qu’il était noir. Il avait en revanche eu le droit d’y chanter le Hollandais du Vaisseau fantôme, sans doute parce qu’il s’agit d’un damné. Là, oui, on peut parler de racisme. Mais aujourd’hui, le Jamaïcain Willard White est acclamé en roi des dieux nordiques, et personne ne s’est offert le ridicule de lui reprocher de voler le rôle à un grand blond.

vendredi 19 février 2010

Stephen Sondheim, l’aristocrate de la comédie musicale au Châtelet

Sous-genre : « section établie dans un genre et renfermant une ou plusieurs espèces », explique le Littré. Ceci pour la biologie. Quand il s’agit d’art ou de littérature, le terme prend une connotation péjorative. L’opérette, par exemple, ou sa fille la comédie musicale, sont des sous-genres de l’opéra. Les enfilades de chansons interprétées et mises en scène façon Star Ac’ dont les Français se délectent depuis Notre-Dame de Paris relèvent, en effet, de ce genre d’en-dessous. Mais comment appeler alors A Little Night Music, de Stephen Sondheim, que l’on connaît ici pour être le troisième homme de West Side Story, aux côtés de Leonard Bernstein et Jerome Robbins ?
« A musical », dit-on à Broadway, où Sondheim, longtemps boudé pour son intellectualisme, est aujourd’hui considéré comme un maître. Soit. Il se démarque en tout cas, pour la musique comme pour les histoires qu’il raconte, d’un Andrew Lloyd-Weber, roi du musical sirupeux (mais efficace) importé de Londres. Cette Petite Musique de nuit, inspirée du film d’Ingmar Bergman Sourires d’une nuit d’été, est même à l’opposé de la mélodie continue selon Lloyd-Weber. Ici, la musique naît du théâtre, les mots et les notes se rencontrent, se quittent, se retrouvent, comme ces couples assortis pour le pire qui vont se reformer pour le meilleur au cours d’une nuit légère et profonde. « Je n’avais jamais entendu ma musique par un orchestre au grand complet », s’est étonné Sondheim, habitué aux petits ensembles de Broadway, où A Little Night Music est actuellement à l’affiche avec Catherine Zeta-Jones et Angela Lansbury. Au Châtelet, le metteur en scène anglais Lee Blakeley manie le grand spectacle, mais tout est d’une grâce, d’une fluidité étonnantes. Quand Leslie Caron entre en valsant et s’immobilise, soudain âgée mais étonnamment juvénile, sur la chaise roulante d’où elle va observer les chassés croisés de cette nuit d’été, on a l’impression de parcourir le demi-siècle qui nous sépare d’Un Américain à Paris, où elle virevoltait en compagnie de Gene Kelly. Et là, un frisson de bonheur parcourt le public.

A Little Night Music, de Stephen Sondheim. Avec Leslie Caron, Greta Scacchi, Lambert Wilson. Orchestre Philharmonique de Radio France, Jonathan Stockhammer (direction) – Châtelet, les 19 et 20 février à 20h.

mercredi 10 février 2010

Christoph Schlingensief construit un opéra à Ouagadougou

Un Opéra au Burkina Faso. Un caprice colonialiste, comme celui de Manaus, dans la forêt brésilienne ? « Pas du tout, se défend Christoph Schlingensief, le metteur en scène et cinéaste allemand qui réalise là son rêve. Nous n’avons rien à apprendre aux Africains, mais beaucoup à apprendre d’eux. Le festival qui aura lieu tous les ans ne sera pas une copie de Bayreuth. Il mobilisera les énergies culturelles autochtones ». Curieux personnage que ce Schlingensief, réalisateur d’une trilogie filmée sur l’Allemagne (Les dernières heures du Führer dans le bunker ; Massacre allemand à la tronçonneuse ; Allemagne, bloc de réanimation), et metteur en scène d’un Parsifal dirigé par Pierre Boulez à Bayreuth en 2004, qui ont fait de lui un génie pour les uns, un imposteur pour les autres, pour tous un virtuose de la provocation. Arte lui a consacré une émission en septembre dernier, où on le voyait chercher le lieu idéal pour réaliser ce projet qu’il s’est juré de mener à bien il y a deux ans, après avoir été opéré d’un cancer du poumon. Dans un village de la périphérie de Ouagadougou, la première pierre a été posée le 8 février, et treize containers de matériel sont arrivés d’Europe. Le bâtiment, dessiné par Francis Ker, un Burkinabé résidant à Berlin, sera une spirale de béton, il comprendra des salles de spectacle, des ateliers, une école de musique et de cinéma, et même un dispensaire. Le Goethe-Institut, le ministère allemand des Affaires étrangères et la Fondation Culturelle Fédérale participent au financement. Ce qu’on ne connait pas encore, c’est le programme de l’inauguration, prévue en octobre, de ce « Village africain d’opéra ». S’il s’agit d’un spectacle monté par Schlingensief lui-même, le public local risque de se faire une curieuse idée d’une culture si longtemps considérée comme dominante.

dimanche 7 février 2010

Charlemagne se croit à l’opéra, pas Obama


Dans les années 1960, les Who voulaient donner leur opéra rock Tommy au Palais Garnier. Horreur des abonnés. Un demi-siècle plus tard, le compositeur italo-anglais Marco Sabiu lance - sur disque et, espère-t-il, sur scène - l’opéra metal symphonique. Le titre : Charlemagne, par l’épée et par la croix. La vedette : Sir Christopher Lee, quatre-vingt-sept ans, Dracula en chef du cinéma d’horreur britannique des années 1960, récemment relancé par Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson. Rien de subversif dans tout cela, bien sûr. Le metal est plus poli que heavy, et Sabiu s’est rappelé qu’il avait travaillé avec Pavarotti. Encore une comédie musicale qui veut se donner des lettres de noblesse. A l’époque des Who, le seul nom d’opéra faisait fuir les beaux esprits, et le trio Pierre Boulez - Jean Vilar - Maurice Béjart achevait de le passer au Kärcher dans un rapport commandé par André Malraux. Aujourd’hui, Pascal Dusapin le partage avec Luc Plamondon et Jean-Pierre Pilot, l’un des compositeurs de Mozart, l’opéra rock. Mais personne, dans ce Mozart néo-disco n’a pour ancêtre l’auteur de Don Giovanni, alors que Christopher Lee affirme descendre par sa mère de l’Empereur à la barbe fleurie.

Au moins Hope, le spectacle qui fait fureur à Francfort, est moins ambitieux. Il ne se pare pas du beau nom d’opéra, comme naguère Nixon in China de John Adams et Peter Sellars, mais simplement d’« Obama musical story ». On y voit Mr President chanter « Yes we can » en duo avec Hilary Clinton, tandis que le public a la possibilité d’accompagner la musique au moyen du « plus petit tambour du monde » intégré à chaque siège. Une idée pour un futur opéra participatif ?

Charlemagne, by the Sword and the Cross. Opéra metal symphonique de Marco Sabiu. Dans les bacs le 15 mars.
Hope, Obama musical story. Jarhunderthalle, Francfort, Allemagne
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samedi 6 février 2010

L’opéra en direct au cinéma : après le Met de New York, l'Opéra de Paris ?

Que n’a-t-on dit (et écrit) sur l’opéra à la télévision : glottes en close up, regards cherchant le chef plutôt que le (la) partenaire, choristes déconcentrés, plans larges réduisant les personnages à l’état de lilliputiens, son trafiqué. Or voilà que ce qui marche actuellement, c’est l’opéra au cinéma : glottes géantes, regards… Soixante salles en France, neuf cents dans le monde entier retransmettent les premières du Metropolitan Opera de New York tout au long de l’année. Le Covent Garden de Londres, le Liceo de Barcelone s’y sont mis. Le 25 juin dernier, quarante-six salles hexagonales ont diffusé en direct et en haute définition Carmen, dirigé à l’Opéra Comique par John Eliot Gardiner. Direct et HD sont les sésames de l’opération. Il y a aussi la sensation, que l’on n’a pas dans son salon, de partager l’événement avec des gens qui, comme vous, se sont déplacés, et qui comme vous, ont envie d’applaudir (ou de siffler) à la fin. Gerard Mortier, directeur de l’Opéra de Paris jusqu’à l’année dernière, détestait le procédé, qu’il qualifiait de tromperie sur la marchandise, invoquant l’indispensable présence des chanteurs et des musiciens, le rayonnement vivant des voix dans un espace privilégié. La diffusion, depuis le Palais Garnier, du spectacle Ballets Russes (tiens, des ballets, pas un opéra), le 22 décembre dernier dans cinquante salles de Roubaix à Toulon, a été un succès, et l’on attend beaucoup de monde ce soir pour Simon Boccanegra depuis le MET, avec Plácido Domingo dans son premier rôle de baryton-Verdi. Dans un théâtre, on est, selon ses moyens, à l’orchestre ou au poulailler. Il y a maintenant ceux qui ne sont pas là, qui paient (le prix du poulailler) pour assister à une représentation virtuelle. Mais avec tout le confort moderne.

Prochains directs du Metropolitan Opera de New York : Simon Boccanegra, de Verdi, avec Placido Domingo (6 février), Hamlet, d’Ambroise Thomas, avec Simon Keenlyside et Natalie Dessay (27 mars), Armida, de Rossini avec Renee Fleming (1er mai).