mercredi 31 mars 2010

Quand les Sacqueboutiers de Toulouse rencontrent les Clément Janequin

La Renaissance est leur royaume, mais à chacun sa spécialité : la musique vocale pour l’ensemble Clément Janequin de Dominique Visse, les instruments à vent pour Les Sacqueboutiers de Toulouse de Jean-Pierre Canihac. Pour les réunir, ce concert des Rencontres des Musiques Anciennes de Blagnac : autour de Rabelais, des extraits de Gargantua offrent un canevas aux musiques de Clément Janequin, Lassus ou Sermisy. Pour Dominique Visse et ses acolytes, rien de nouveau, c’est le répertoire qu’ils cultivent depuis leur création. La nouveauté ici c’est justement qu’ils sont rejoints par les instruments des Sacqueboutiers, un cornet à bouquin, une chalémie (l’ancêtre du hautbois), une saqueboute (grand-père du trombone), un basson, plus une organiste/claveciniste et un percussionniste.
Sur la scène, les musiciens des Sacqueboutiers, tout de noir habillés, sont derrière les cinq chanteurs des Clément Janequin, vêtus, eux, d’un simple habit de moine, pieds nus. Un comédien, habillé, lui, comme le fou du Roi, est chargé de lire les textes. C’est un mélange inattendu : au XVIè siècle, les « hauts » instruments à vent sont utilisés pour accompagner la musique des offices ou les grands occasions, pas pour mettre de la couleur dans les chansons polyphoniques. Tout ceci est parfaitement « inauthentique » mais musicalement complètement réussi. Grâce a ces subtiles combinaisons entre voix et instruments, ce concert-lecture est bien plus qu’une simple farce gargantuesque (même si on rit beaucoup) une vraie découverte musicale. On découvre que les quatre instruments « hauts » ne servent pas uniquement à donner de la voix, mais qu’ils sont aussi capables de chanter, de chuchoter, de caresser. Comme soutien des voix, ils savent se fondre dans le style si particulier des Janequin et trouver même une dimension comique dans leur jeu. Pour chaque page, un accompagnement sur mesure, sauf pour la Chasse de Janequin où aucun instrument peut rivaliser avec le génie des Janequin pour traduire ce festival d’onomatopées et d’effets spéciaux.
Pablo Galonce

Blagnac, le 21 mars. www.odyssud.com 

Crédit photo : (c) Patrice Nin

lundi 29 mars 2010

Martha Argerich, reine du mystère

Une biographie, c’est en soi un exercice de haute voltige. Mais quand il s’agit de la biographie d’un interprète, le risque est décuplé. Quel plan adopter ? Quelle méthode suivre ? Impossible de jongler avec le schéma vie-œuvre (ne serait-ce que pour le refuser), comme pour un écrivain ou un compositeur. Dans Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, Olivier Bellamy esquive habilement les précipices. Qu’est-ce qui fait de Martha Argerich une artiste à part ? Sa façon de jouer du piano, d’abord, sa vie ensuite, ou le contraire ? La vie, ce livre la détaille période par période, on serait tenté d’écrire acte par acte. Tout y est, plaisamment raconté, avec des détails qui serviront de références, car la dame est une reine de l’esquive, et ne se laisse surprendre que par quelques élus prêts à la suivre dans ses errances. Comme sa vie est un roman, comme ses rencontres et tribulations sont à la hauteur de sa personnalité, on ne s’ennuie pas. Les fans apprécieront, et même se délecteront. Les autres liront cela comme un roman, justement, sans trop s’arrêter à tout ce qui nécessite une bonne connaissance préalable des milieux de la musique en général et du piano en particulier. C’est pour eux, probablement, que l’auteur multiplie les superlatifs, comme pour bien indiquer que tous les acteurs de cette histoire sont des oiseaux rares. Une fois le livre refermé, vient la double question : en quoi cette artiste est plus intéressante qu’une autre, en quoi mérite-t-elle qu’on lui consacre une telle somme ? Là, il faut écouter les disques, ou – mieux dans le cas de cette grande instinctive – aller l’écouter en live. En fait, ce genre de livre sert à cela : entretenir le mystère.

François Lafon

Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, par Olivier Bellamy. Buchet-Chastel - 272 pages, 23 euros.

Jean-Efflam Bavouzet, un pianiste qui ne se la joue pas

Quand il joue du piano, Jean-Efflam Bavouzet ne se la joue pas. C’est l’impression que l’on a en sortant du Théâtre de la Ville, où il vient de donner un récital à haut risque. Au programme, trois morceaux de bravoure que n’aurait pas désavoués Sviatoslav Richter : la 31ème Sonate de Haydn, un de ces chefs-d’œuvre qui - comme le disait Richter - n’a l’air de rien mais va tellement plus loin que les pièces pour clavier de Mozart, Gaspard de la Nuit de Ravel et la redoutable 6ème Sonate de Prokofiev, créée sous les doigts d’acier du compositeur et défendue par … Richter, qui y déployait son écrasante virtuosité. Bavouzet, lui, intrigue son public avec Haydn, le terrifie avec Ravel et l’anéantit avec Prokofiev. La salle, bondée, en redemande, et a droit en bis à Reflets dans l’eau de Debussy (alors que Prokofiev, rappelle l’artiste, ne sauvait que Ravel parmi les musiciens français) et à la Toccata de Massenet (mais oui, trois minutes qui en disent plus que Manon tout entier). Le pianiste n’a pas exactement les moyens d’un Richter, mais chaque son qu’il produit respire l’intelligence, la culture, l’humour aussi. Inexplicable, mais évident. On en oublie même la sonorité ingrate du Yamaha (tiens, comme Richter) qu’il a choisi. Comme il ne se la joue pas, mais prend tous les risques et nous entraîne sur son manège fou, il nous console de toutes les vessies médiatiques que l’industrie musicale tente de nous faire prendre pour les lanternes salvatrices.

samedi 27 mars 2010

La fièvre monte à l’Orchestre de Lyon

« Quand l’amour va, tout va », ce qui n’est pas le cas à Lyon entre le directeur administratif de l’Orchestre National, Laurent Langlois, et son directeur musical, Jun Märkl. On a d’abord cru qu’il s’agissait d’un choc de personnalités, de la rencontre explosive d’un maestro jaloux de ses prérogatives (son arrivée à la tête de l’Orchestre ne s’était pas passée sans remous) avec un patron engagé par la mairie pour dépoussiérer l’institution. Venu de Rouen, Laurent Langlois s’est notamment fait un nom en conférant au festival Octobre en Normandie une aura iconoclaste qui n’était pas pour déplaire aux édiles locaux et nationaux. A Lyon, il a été accueilli comme le Grand Méchant Loup, et s’est apparemment ingénié à mériter ce titre, en imposant ses hommes, en ne regardant pas à la dépense, en faisant passer ses réformes à la hussarde au lieu d’optimiser les forces en présence. Lyon Capitale.fr précise que si le contrat de Jun Märkl est consultable sur Internet, celui de Laurent Langlois ne l’est pas. Ambiance.
Dernier chapitre en date de la guerre des nerfs : l’engagement d’une directrice de la Communication derrière le dos de Märkl, lequel n’a déjà pas apprécié que sa photo sur le programme de la saison prochaine soit remplacée par … la tête de Guignol. Résultat : dépôt d’un recours devant le Tribunal administratif. Bon, ce n’est pas la première fois qu’une bataille de chefs pourrit la vie d’une institution : on se rappelle celle qui a opposé Hugues Gall et Myung-Whun Chung à l’Opéra de Paris, et qui s’est terminée (assez rapidement, heureusement) par le départ du second. Ce sera le cas à Lyon, puisque Märkl n’a pas renouvelé son contrat, qui se termine fin 2011. En attendant, les habitants du quartier de La Part-Dieu vérifient chaque matin si l’Auditorium est toujours debout. On se demande ce que le chef américain Leonard Slatkin, qui avait été approché avant l’arrivée de Langlois pour prendre les rênes de l’Orchestre, pense de tout cela.

vendredi 26 mars 2010

Drôle de Requiem pour Wolfgang Wagner

« Sans les Wagner et leurs scandales, le festival serait moins drôle», écrit l’historienne autrichienne Brigitte Hamann dans son livre sur Bayreuth et les nazis. Elle résume en tout cas les commentaires parus à l’occasion de la mort de Wolfgang, petit-fils de Richard et directeur du Festival pendant cinquante-sept ans. « S'il aimait se donner des airs de paysan bavarois, parlant une sorte de patois franconien qui plongeait le germanophone le plus aguerri dans des abîmes de perplexité, il était aussi un homme rusé et très cultivé. Il sut ainsi ouvrir Bayreuth à la modernité en osant recruter dès 1969 des metteurs en scène en dehors de la famille Wagner », consent Christian Merlin dans Le Figaro. On ne trouve ailleurs que fustigation de son despotisme, et rappel de la guerre de succession qui a fini, de son vivant même, par mener deux de ses filles de lits différents (Eva et Katharina) à la tête de l’entreprise familiale. Dans son blog Slipped Disc (Hernie discale), le critique anglais Norman Lebrecht perd toute mesure : « La mort de Wolfgang Wagner, annoncée dimanche soir, met fin à Bayreuth à une ère post-guerrière presque aussi déplaisante que le nazisme ». Quant à l’animatrice du blog déjanté Opera Chic, elle frappe elle aussi très fort, mais avec plus de finesse, en faisant suivre une citation de Lebrecht d’un extrait de l’Adagio de la Septième Symphonie de Bruckner sous la baguette de Wilhelm Furtwängler, la musique diffusée par Radio Berlin à l’annonce de la mort d’Hitler. Ce que l’on reproche avant tout à Wolfgang, c’est d’avoir survécu plus de quarante ans à son frère Wieland, lequel avait lui aussi sauté sur les genoux du Führer, mais possédait beaucoup plus de talent comme metteur en scène, et par là même avait davantage contribué à rendre de nouveau fréquentable l’œuvre de leur grand-père. Dans La Tétralogie, un des géants qui ont construit le Walhalla tue son frère pour ne pas avoir à partager l’Or du Rhin avec lui. Allez faire comprendre aux wagnériens que le monde selon leur idole n’est qu’un délire d’artiste.

jeudi 25 mars 2010

John Cage à l’Ircam : 4’33’’ qui ont changé le monde

En 1967, dans sa pièce Le Silence, Nathalie Sarraute met en scène un homme qui ne dit rien, ce qui provoque une véritable panique dans son entourage. Quinze ans plus tôt, John Cage compose 4’33’’, une pièce en trois mouvements pour « n’importe quel instrument, ou combinaison instrumentale », puisqu’elle est totalement silencieuse. La panique initiale débouchera sur un déluge de commentaires oraux et écrits, que l’Ircam prolonge le 25 mars au Centre Pompidou en soumettant au jeu des portraits chinois ces presque cinq minutes parmi les plus tonitruantes de l’histoire de la (non) musique. Des compositeurs (Bruno Mantovani, James Dillon, Roque Rivas) présentent des œuvres s’inscrivant dans la postérité du chef-d’oeuvre, tandis que des philosophes (Elie During, Bastien Gallet), des historiens et des écrivains planchent sur des « pistes » qui déboucheront sur des exposés en trois mouvements, et d’une durée de quatre minutes et trente-trois secondes. Parmi les sujets, on relève : « 4’33’’ est un tube qui est dans toutes les têtes », « 4’33’’ est une oeuvre écologique », « 4’33’’ est une œuvre idiote », « 4’33’ est une oeuvre queer », 4’33’ est une prière », « 4’33’’ est une plaisanterie sérieuse », ou « 4’33’’ n’existe pas ». Les organisateurs ne manquent décidément pas d’humour, puisque l’opération est intitulée : « 4’33’’ après J.C ».

Le 25 mars au Centre Georges Pompidou. 19 h : Rencontre « 4’33’’ : portrait chinois » - 20h30 : Concert : créations de Carlos Caires, James Dillon, Bruno Mantovani, Christian Marclay et Roque Rivas. Ensemble Remix, Peter Rundel (dir.)

mercredi 24 mars 2010

Waltraud G., cantatrice et meurtrière présumée

Mais qui est Waltraud G. ? En Allemagne, l’affaire fait du bruit. Cette cantatrice de cinquante-cinq ans, vivant dans le sud du pays, a été arrêté pour le meurtre présumé de son mari, un retraité de seize ans son aîné. Le scandale est d’autant remarqué plus que dans le milieu de la musique classique, ce genre de fait divers arrive plus souvent dans l’imagination des écrivains – de Dominique Fernandez (Porporino) à Donna Leon (Meurtre à La Fenice) – que dans la réalité. Une photo de Waltraud G. circule sur la toile, publiée par le site bild.de, et l’on connaît le nom du mari : Hermann Hills. La dame aurait fait appel à un acteur pour signer chez un avocat et un notaire une procuration en sa faveur, et aurait procédé à un véritable casting pour se trouver un mari de substitution, la plupart des prétendants au rôle ayant finalement déclaré forfait. Apparemment, Waltraud Meier (cinquante-quatre ans), la grande Isolde de ces dernières années, est hors de cause. Mais peut-être que Waltraud G. – dont on ne sait si elle est soprano, mezzo ou contralto - n’existe pas, ou que l’acteur qui s’est présenté chez l’avocat est le véritable mari (son corps n’a pas été retrouvé), lequel aurait tué sa femme et engagé une actrice pour tenir le rôle. Il se peut aussi que la photo ne soit pas la sienne, qu’elle représente l’épouse de l’acteur, elle-même cantatrice, etc. Dommage que Borges ne soit plus là. Il aurait en fait un livret d’opéra. Pour l’instant, la police seule détient les réponses à toutes ces questions. Elle n’en sait pas beaucoup plus, car Waltraud G. ne sort pas de son mutisme. A propos, et si elle n’était pas chanteuse ?

mardi 23 mars 2010

Cabaret contemporain : qui a (encore) peur des musiques actuelles ?

Comme la musique classique, la création contemporaine a besoin de changer d’air et de rajeunir son public. C’est cette constatation qui a conduit Laurent Jacquier - un ancien de Sciences Po Lyon converti à la musique en fréquentant la Folle Journée de Nantes -, à créer Le Cabaret Contemporain. Prise de tête, la contemporaine ? Oui, si vous l’écoutez les mains jointes dans une salle gris béton. Non (ou moins), si vous êtes attablé dans un lieu plus souvent dévolu au jazz ou aux variétés. Rendez-vous donc à l’Archipel et à la Péniche Opéra, mais aussi au Studio Ermitage, au Vent se lève, à La Java. Le concept tient d’autant mieux la route que bien souvent la création, même la plus hard, pose moins de problèmes aux amateurs de nouveautés en tous genres qu’aux accros à Mozart et Beethoven. La programmation de la première saison (quatorze concerts de septembre à juin) ne caresse pas les oreilles dans le sens de la consonance : percussions, improvisation, électroacoustique, musique de chambre, découverte de jeunes compositeurs par des solistes de l’Ensemble Intercontemporain ou par des étudiants du Conservatoire Supérieur, partenaire de l’aventure avec, entre autres, la SACEM et Arte. Cœur de cible : les jeunes de quinze à quarante-cinq ans (c’est flatteur). A l’issue du concert, un DJ s’installe aux platines et fait danser l’assistance sur du Ligeti ou du Stravinsky. Sur le site cabaret-contemporain.com, la page « contacts » est illustré d’une photo de Claude Laydu dans Le Journal d’un curé de campagne, le film de Robert Bresson d’après Bernanos. Est-ce à dire que pour gagner son paradis, il ne faut pas avoir froid aux oreilles ?


Prochains concerts : Duo Links, de Franck Bedrossian (23 mars, Studio de l’Ermitage) – Œuvres de Julien Gauthier (15 avril, Péniche- Opéra) – L’Histoire du Soldat de Stravinsky par l’Ensemble Acouphènes (11 mai, Le Vent se lève) – Jeunes compositeurs présentés par la SACEM (22 juin, Ermitage)
www. cabaret-contremporain.com

lundi 22 mars 2010

Robert Badinter : la mort en chantant

Robert Badinter aime beaucoup l’opéra. Pas étonnant de la part d’un avocat : on s’assassine beaucoup dans le monde lyrique (sur scène bien sûr ; en coulisse, les crimes sont plus métaphoriques). En ce moment, il écrit un livret pour le compositeur Thierry Escaich. Le thème : les dernières heures d’un condamné à mort. Comme il est co-commissaire, avec Jean Clair, de l’exposition « Crime et châtiment » au Musée d’Orsay, il ne sort pas de son sujet. Il a déjà, en 1995, tâté de la scène avec C.3.3, une pièce sur la condamnation d’Oscar Wilde pour homosexualité (C.3.3., c’est le numéro de la geôle de Reading où l’écrivain a été enfermé). Le spectacle a remporté un « succès d’estime », c’est à dire qu’il n’a pas marché, et la pièce, qui tient davantage de la plaidoirie que de l’action dramatique, n’a jamais été reprise. Un livret d’opéra, c’est plus contraignant, mais aussi plus sécurisé. Impossible d’être bavard, la musique, qui ralentit tout, vous oblige à condenser. Difficile d’être dogmatique : la musique, qui travaille dans le sensible, va vous contredire. Interdit de pratiquer le double-sens, le non-dit, le sous-texte : la musique est là pour ça. Envahissante, la musique ? Pas si elle sait dialoguer avec l’action. L’opéra, qui est affaire de dialectique, lui demande avant tout de ne pas faire cavalier seul. Pourquoi ne donne-t-on jamais Pénélope ? Parce que la musique de Fauré est superbe, mais elle roule toute seule, indifférente à ce qui se passe sur scène. En revanche, Paillasse fonctionne très bien, et tant pis pour ceux qui en trouvent (à raison) la musique grossière. Ne voyez dans tout cela aucun non-dit quant à l’association de Thierry Escaich, compositeur spécialisé dans la musique sacrée, avec Robert Badinter, l’homme qui a fait abolir la peine de mort en France. Dans l’imagerie populaire, l’image de la guillotine se découpe souvent sur fond de ciel sans nuage.

Exposition Crime et châtiment. Jusqu’au 27 juin. Paris, Musée d’Orsay.

dimanche 21 mars 2010

A La Scala, un Tannhäuser catalano-bollywoodien


Polémique à la Scala de Milan à propos de la mise en scène du Tannhäuser de Wagner par La Fura dels Baus. Images choc, éclairages virtuoses, vidéos en folie : le collectif catalan déploie son arsenal habituel. Mais la grande idée du spectacle est que la rédemption de l’artiste déchiré entre l’empire des sens et l’aspiration à la pureté passe mieux si l’action est transposée dans une Inde colorée par le folklore bollywoodien. L’argument est recevable : là-bas, on fait encore la route à pied pour aller se purifier dans les eaux du Gange, alors qu’ici, on n’a pas encore vu Michel Houellebecq déguisé en Tannhäuser, se traînant jusqu’à Rome pour recevoir l’absolution papale.
Puisque l’actualisation est à la mode, il faut bien trouver des équivalences culturelles. On a vu à l’Opéra Bastille un Barbier de Séville déplacé par Colline Serreau dans le Maghreb (où l’on enferme encore les filles à marier), à la Cartoucherie un Tartuffe devenu islamiste par les bons soins d’Ariane Mnouchkine, et au Châtelet un Padmâvati (de Roussel) déjà bollywoodien, avec éléphants roses et jeunes premiers gominés. Les civilisations traditionnelles sont décidément bien utiles pour donner un coup de jeune (si l’on ose dire) à des intrigues qui ne sont plus de chez nous. C’est toujours plus raffiné que de transporter la prison de Fidelio à Guantanamo ou le séisme du Roi d’Ys à Haïti. Ce qui a le plus choqué, dans le Tannhäuser de La Scala, c’est la scène filmée où l’on voit Jean-Paul II vouer à l’enfer ceux qui ont commis le péché de luxure. Comme quoi il n’est pas toujours indispensable d’aller jusqu’en Inde pour se retrouver au XIXème siècle.

Wagner : Tannhäuser. Mise en scène : La Fura Dels Baus – Direction : Zubin Mehta – Milan, Scala, les 20, 24, 27, 30 mars, 2 avril.

samedi 20 mars 2010

L’hymne canadien échappe au politiquement correct

“Touche pas à mon hymne”, s’écrient les Canadiens en chœur. Dans le Discours du trône prononcé le 4 mars, le Gouverneur Général Michaëlle Jean a évoqué une éventuelle modification des paroles de l’hymne national O Canada, un chant patriotique composé en 1880 sur un texte français, dont la version bilingue a officiellement succédé en 1980 au God Save the Queen hérité du passé colonial britannique (rappelons que la Reine d'Angleterre est toujours le -la?- chef d'Etat du Canada). Tollé général ! Il se serait pourtant agi - de manière fort politiquement correcte - de remplacer la formule au masculin "True patriot love in all thy sons command," (« Tu commandes à tous tes fils d'avoir un amour patriotique vrai ») par son équivalent au neutre « True patriot love thou dost in us command » (« Tu nous commandes d'avoir un amour patriotique vrai »), histoire de ne plus exclure les dames de l’affaire. Le plus drôle est que la version neutre est la plus ancienne des deux. Aucun édile, en revanche, ne s’est jamais offusqué de la présence, excluante pour les non-chrétiens, de formules telle « Car ton bras sait porter l'épée/ Il sait porter la croix! », reprise par Jean-Paul II lors de sa visite au Canada en 2002. Est-ce parce que cette dernière phrase figure dans la partie de l’hymne chantée en français, alors que les formules soupçonnées de sexisme n’existent qu’en anglais ? Espérons que la saine réaction des Canadiens empêchera ici qu’un(e) quelconque député(e) zélé(e) ne demande la réécriture du sixième couplet de La Marseillaise, où l’on clame : « Sous nos drapeaux que la victoire/accoure à tes mâles accents ». Il est vrai que nous ne risquons pas grand-chose : des sept couplets de ce long appel au meurtre, on ne connaît que le premier.

vendredi 19 mars 2010

Faust de Philippe Fénelon au Palais Garnier : « Je t’aime, moi non plus »

Création parisienne de Faust, à l’Opéra. Faust, une création ? Oui, celui de Philippe Fénelon, un des derniers en date, après ceux de Pascal Dusapin (Faustus, the last night) et de John Adams (Doctor Atomic). Gounod et Berlioz sont bien loin. Il ne s’agit pas d’une vraie création, puisque l’œuvre a déjà été donnée en 2007 au Capitole de Toulouse. Est-ce pour cela qu’on n’en parle pas beaucoup ? Pas seulement, bien sûr. Ce Faust, inspiré de Lenau et non de Goethe, est un grand morceau de poésie philosophique, dont Fénelon a fait une sorte d’oratorio en sept tableaux, un prologue et un épilogue, paré d’une musique truffée de références et de citations, et illustré par une mise en scène spectaculaire mais glacée du scénographe Pet Halmen, qui en accentue le côté rituel. C'est-à-dire qu’on n’est pas là pour s’amuser, mais au moins pour réfléchir, en tout cas pour faire appel à toute la culture philosophique dont on dispose. Toujours le même paradoxe : pour offrir à l’opéra un hypothétique avenir, on tente de l’exorciser, de le rendre digne de le faire coexister avec la musique « pure ». Alors que faire ? Obliger Dusapin et Fénelon à composer comme Andrew Lloyd Weber, voire à faire des « à la manière de » Puccini ? « Ridicule ! », direz-vous (et vous aurez raison de le dire). Fénelon est un passionné d’opéra, il a écrit des textes éclairants sur les chefs-d’œuvre du répertoire (Histoires d’opéras – Actes Sud, 2007). Alors pourquoi son Faust est-il si raide, si pompeux, si conforme au « Je t’aime, moi non plus » dont le genre souffre depuis un demi-siècle ? Est-ce parce qu’à la création de son Salammbô tiré de Flaubert, en 1998 à l’Opéra Bastille, il a été qualifié de Saint-Saëns du XXème siècle ? Quand verra-t-on un ouvrage nouveau créer l’événement, et ne pas être soupçonné de répondre seulement à une obligation du cahier des charges ?

Crédit photo : Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca


Faust de Philippe Fénelon. Mise en scène et décors : Pet Halmen. Direction musicale : Bernhard Kontarsky- A l’Opéra de Paris, Palais Garnier, les 20, 23, 29 et 31 mars.

mercredi 17 mars 2010

Star Wars à Bercy. La force commerciale est avec eux !


Des extraits des divers épisodes de la saga en haute définition et sur écrans géants, Anthony Daniels - interprète du Droïde de protocole C-3 PO - commentant l’action avec sa « voix de majordome britannique zélé » (c’est lui qui parle), une exposition de costumes et d’accessoires : le service après vente de Star Wars se poursuit ce soir à Bercy avec un show réservé à ceux qui connaissent par cœur les six films, mais aussi à ceux qui pourraient grossir leurs rangs et devenir à leur tour des consommateurs de Star Wars sous forme de DVD et autres produits dérivés. Mais le clou de la soirée consiste en la présence live du Royal Philharmonic Orchestra (créé en 1946 par Sir Thomas Beecham) interprétant la musique de John Williams sous la direction du chef et compositeur belge Dirk Brossé. Rappelons que pour l'enregistrement de la bande sonore des six films, John Williams dirigeait le London Symphony Orchestra, excusez du peu.
Un orchestre symphonique, ou le luxe absolu. De quoi faire réfléchir les habitués de la salle Pleyel ou du Théâtre des Champs-Elysées, pour qui la présence d’une centaine de musiciens venus tout exprès pour divertir leurs oreilles et adoucir leurs mœurs n’a rien de particulièrement impressionnant. La musique de Williams, élève de Mario Castelnuovo-Tedesco en composition et de Rosina Lhevinne à la Juilliard School pour le piano, sonne « comme du classique », dans la lignée de celle d’Erich Wolfgang Korngold ou Miklos Rozsa. En 1980, trois ans après la sortie du premier épisode (Un nouvel espoir) et quelques mois après celle du deuxième (L’Empire contre-attaque), le plus ancien orchestre américain, le Symphonique de Saint-Louis, avait fêté son centième anniversaire avec un gala comme on sait les organiser au pays de l’entertainment. Après l’entracte, Leonard Slatkin, à l’époque directeur musical de l’orchestre, avait cédé sa baguette à John Williams himself, pour diriger en direct la BO de Star Wars. Les invités, en smokings et robes du soir, étaient monté sur les sièges pour crier leur joie. Qu’aurait-il fait une fois la saga entrée dans la légende ? Le concert de Bercy va est peut-être nous donner la réponse.

Star Wars en concert. Palais Omnisports de Bercy, 17 mars, 16 h et 20h30. Places 51 euros et 99,50 euros. avosbillets.com

Nouveau mobilier urbain à Barcelone : des pianos

Touch me, I’m yours (Touche-moi, je suis à toi). Il ne s’agit pas de racolage sur la voie publique, mais d’une opération « pianos dans la rue », lancée à Barcelone par le Britannique Luke Jerram, en parallèle avec le Concours Maria Canals, qui réunit en ce moment dans la ville quatre-vingt-onze pianistes venus de vingt-six pays. Jusqu’au 26 mars, vingt instruments, répartis dans des lieux très fréquentés, s’offrent à qui veut s’occuper d’eux. Déjà, des élèves des écoles d’art et de design en ont décoré sept sous les arcades de la Plaza Reial : couleurs vives, collages à la Max Ernst, transformation du plus bourgeois des instruments en icônes militantes. Les passants, eux, ne se privent pas de promener leurs doigts sur les claviers, que ce soit pour jouer Au clair de la lune (version catalane) ou la Sonate « Au clair de lune », ou tout simplement pour faire du bruit : rien de plus irrésistible qu’un clavier qui s’offre à vous ! La mairie de Barcelone présente l’opération comme un test de responsabilité civique, et les instruments – qui sont entretenus quotidiennement et couverts la nuit d’un manchon protecteur - feront le bonheur de diverses associations. « Faites ça à Paris, ce sera un massacre », penseront certains. Pas sûr : l’opération a été tentée à Sao Paulo, Sydney et Londres, et aucun piano n’a été vandalisé, ni même abîmé. Il n’y a qu’à Bristol, la plus petite de toutes ces villes, que l’un des quinze instruments exposés a subi les derniers outrages.

mardi 16 mars 2010

Mozart, une punition très dissuasive

Vous vous rappelez, Orange Mécanique de Stanley Kubrick ? C’était en 1971. On y voyait Alex (Malcolm McDowell), drogué à Beethoven et à l’ultra-violence, soigné de son ultra-violence à coups de Beethoven, qu’il ne pouvait plus écouter sans être instantanément pris de nausée. Folle fiction inspirée d’un roman de ce fou d’Anthony Burgess ? Eh bien, quarante ans plus tard, la réalité rattrape la fiction. A Derby (Grande-Bretagne), il y a une école où l’on oblige les élèves les plus indisciplinés à écouter du Mozart et du Ravel. Résultat : 60% d’incivilités en moins. Brendan O’Neill, animateur du site spiked-online.com ("dopage en ligne.com") et auteur d’un essai intitulé Weaponizing Mozart (qu’on pourrait traduire par « Comment transformer Mozart en arme ») déclare que l’école en question n’hésite pas à « donner ainsi un grand coup sur la tête des délinquants ». Un grand coup sur la tête, Mozart ? Allez dire ça aux gens qui casent leur tirelire pour aller s’en délecter à Aix ou à Salzbourg ! Cette thérapie de choc nous rappelle que :
1 – Les enfants n’aiment pas la musique classique. Leur oreille est formée à des harmonies basiques, aisément reconnaissables et peu fatigantes pour les cellules grises.
2 – Le système scolaire a abandonné l’idée de transmettre aux élèves les clés de la culture.
3 – Pour le peuple, la musique est plus que jamais une affaire de gens chics, à laquelle ils n’a pas accès.
En Angleterre, au Pays de Galle et en Irlande du Nord, les pouvoirs publics ont trouvé un moyen infaillible d’empêcher les attroupements de jeunes dans les parcs et autres lieux publics : on y diffuse de la musique classique à fort régime. C’est plus efficace et moins dangereux que la petite boite à ultrasons (illégalement) utilisée chez nous, et destinée à troubler l’oreille interne des moins de vingt-cinq ans (tiens, presque comme dans Orange mécanique). La musique comme agent excluant : on connait des mélomanes qui aimeraient moins Mozart s’il n’avait cette vertu. Quand durcira-t-on le ton en passant de Mozart à Schoenberg ? Là, il faudra faire attention : les mélomanes risquent de fuir et les jeunes d’aimer.

lundi 15 mars 2010

Andrea Bocelli, le désespoir des critiques

Carmen de Bizet et Andrea Chénier de Giordano, deux intégrales d’opéras enregistrées en studio et éditées par Decca. Impensable dans la conjoncture actuelle ? Non, puisqu’elles ont pour tête d’affiche Andrea Bocelli, le ténor non voyant. Les plateaux, autour de la pop star, n’ont rien de déshonorant : Carmen est dirigé par Myung-Whun Chung, avec l’habituée du rôle-titre Marina Domashenko et Bryn Terfel himself chantant Escamillo, et Chénier réunit Violeta Urmana, Lucio Gallo et le chef Marco Armiliato, tous habitués des scènes internationales. Dans des conditions similaires, Bocelli a déjà enregistré quelques rôles poids-lourds : La Bohème, Tosca, Le Trouvère, Werther, Cavelleria Rusticana, Paillasse et même le Requiem de Verdi sous la baguette de Valery Gergiev. Qui va lui jeter la pierre ? Il pourrait se contenter de gagner beaucoup d’argent en susurrant des remix de Con te partiro. Tout de même, son éditeur hésite à envoyer les disques aux critiques, et ceux-ci sont mal à l’aise : difficile de tirer sur un handicapé. Expérience intéressante : organiser avec quelques amis une écoute à étiquette cachée (on n’ose dire à l’aveugle). Dans le lecteur : Andrea Chénier. Perplexité générale : « C’est Pavarotti en fin de carrière ? » ; « Il ne manque pas de charme, mais il a du mal » ; « Apparemment, il y a un montage par note ». On passe à Carmen. « C’est le même ? » ; « Il croone » ; « Il ne fait pas ça sur scène, quand même ? ». Une fois dévoilé le pot aux roses, silence gêné : « Il n’y arrive pas, mais il se passe quelque chose ». Ce quelque chose, c’est ce qu’entendent les fans. Alors, ce qu’en disent les critiques …

dimanche 14 mars 2010

Nicholas Angelich, c’est le son !

C’est pas juste ! Comme la beauté, qu’on a ou qu’on n’a pas, comme la personnalité de la voix, pour un chanteur ou un acteur. Pas facile, au piano d’aller au-delà du timbre de l’instrument, et pourtant Nicholas Angelich a un son bien à lui. Au Théâtre des Champs-Elysées, samedi, il a commencé par la 12ème Sonate « Marche Funèbre » de Beethoven. Le Steinway était bizarrement réglé, le mécanisme faisait du bruit dans l’aigu, et le pianiste se chauffait pour l’opus 111, la dernière sonate de Beethoven, une de ces musique qui ont l’air de contenir toutes les autres, passées et à venir. Eh bien, tout de suite le son était là, personnel, reconnaissable du haut en bas du clavier. Dans les passages fous de l’opus 111, les doigts couraient (pas une fausse note !), sans jamais perdre le timbre. Ce n’est pas si fréquent, même chez les plus célèbres. Après l’entracte, Rachmaninov : deux Préludes, les neuf Etudes-Tableaux op. 39. Angelich est chez lui : études (les doigts courent, les mains se croisent) + tableaux (on croit voir la musique). Cette musique de pianiste devient de la musique tout court. Encore une fois, le son a une présence qui n’est à nul autre, il fait oublier la sécheresse de l’acoustique du TCE, comme à l’opéra, où l’on peut faire carrière sur la magie d’un timbre (Pavarotti en est la preuve). Cela ne veut pas dire que Nicholas Angelich n’ait pas d’autres qualités. Ce samedi, son Beethoven était un peu distant. Bon. En bis, il a joué Chopin et Schumann - clin d’œil aux bicentenaires de l’année. Ce son dans la première des Scènes d’enfants ! Encore ? Eh oui, on n’en sort pas.

samedi 13 mars 2010

Rome : scandale au Panthéon


« Vergogna ! », comme on dit là-bas. Le 28 février, le Bach Consort, un ensemble venu de Russie, joue Vivaldi en matinée dans le cadre imposant du Panthéon de Rome. Entre deux mouvements, une gardienne du monument interrompt les musiciens et annonce que celui-ci ferme le dimanche à 18 heures et il va falloir l’évacuer. Consternation, remous divers. La musique reprend. Arrive alors un collègue de la dame, qui répète l’ordre sur un ton plus ferme. Scandale, insultes : l’affaire remonte jusqu’au ministre de la Culture, Sandro Bondi, lequel se fend d’une lettre d’excuse aux musiciens. Un communiqué officiel est publié, fustigeant « un acte irresponsable, qui porte atteinte à la réputation et à l’économie de la ville ». L’histoire ne dit pas si les employés zélés ont été renvoyés. Que celui, coincé au milieu d’un rang un jour où le concert était particulièrement ennuyeux, qui n’a pas prié pour qu’un incident de ce genre arrive, leur jette la première pierre.

vendredi 12 mars 2010

Anna Nicole, scandale annoncé au Covent Garden

Si Anna Nicole fait autant de grabuge que Jerry, Covent Garden tiendra mieux qu’un succès, un scandale! Vous ne comprenez rien ? Explication : Anna Nicole (Smith), c’est une playmate aux allures de Marilyn, qui a épousé un magnat du pétrole de soixante-trois ans son aîné avant de mourir d’une overdose en 2007. A partir de cette histoire dont les tabloïds britanniques n’ont pas manqué un épisode, le compositeur Mark Anthony Turnage et le librettiste Richard Thomas ont imaginé un opéra qui sera créé le 17 février 2011 sur la première scène lyrique du royaume. Richard Thomas est célèbre en Angleterre pour être l’auteur de Jerry Springer, the opera (2003), un musical qui a mis en émoi les ligues de vertu et dont le héros est l’animateur d’une émission de télé trash, où l’on voit couples et familles laver leur linge sale devant un public chargé d’attiser le feu (le show en question est diffusé ici sur une chaîne câblée - je ne vous dirai pas laquelle -, et il en existe même une version française). Mis en scène par le très sérieux Richard Jones, Anna Nicole sera incarnée par la soprano néerlandaise Eva-Maria Westbroek, que l’on a vue à Aix dans La Walkyrie et à la Bastille en Lady Macbeth de Mzensk. Imaginez Pascal Dusapin s’associant avec Laurent Ruquier pour un écrire un opéra sur Lolo Ferrari ! Ici, on préfère commander un Faust à Philippe Fénelon (première parisienne le 17 mars au Palais Garnier). Cela fait moins jaser, mais la réputation du service public est sauve.

jeudi 11 mars 2010

Gustavo Dudamel, un transfuge qui vaut de l’or

Gustavo Dudamel change d’impresario. Pour les gazettes et le public, ça ne vaut pas les détournements de fond au festival de Pâques de Salzbourg, ni même le transfert de Lang Lang chez Sony pour la modique somme de trois millions de dollars. Et pourtant… « Dude », comme on l’appelle outre-Atlantique, quitte l’agence britannique Askonas Holt pour suivre Stephen Wright, lui-même dissident de l’agence en question, dans sa nouvelle écurie Van Walsum Management. Scénario classique. Oui, mais autour, les gros poissons s’agitent. Simon Rattle, locomotive d’Askonas Holt et parrain de Dudamel dans le métier, a tout fait pour le retenir ; Deutsche Grammophon, sa maison de disques, l’aurait bien vu intégrer sa propre agence, dirigée par des transfuges de la multinationale IMG Artists. Dude a résisté. Dans sa corbeille de mariage, il apporte le Philharmonique de Los Angeles, le Symphonique de Göteborg et l’Orchestre des Jeunes Simon Bolivar : trois continents pour un seul homme. Du coup, Van Walsum Managment devient l’agence où il faut être. Kazushi Ono, directeur musical de l'Opéra de Lyon et ex-artiste IMG, y est déjà, le hautboïste François Leleux et le chef François-Xavier Roth aussi, mais on annonce des stars, et de première grandeur. Moralité : Dudamel n’est pas un garçon influençable. Conclusion : si vous ne voyez plus le nom de Dudamel à l’affiche du Philharmonique de Berlin (l’orchestre de Rattle), ne vous étonnez pas. Si Kazushi Ono dirige à Los Angeles, ne vous étonnez pas non plus. Si Dude change de maison de disques (idem)… Souvent l’on s’étonne de voir tel artiste faire équipe avec tel autre, ou ne plus travailler avec son partenaire de toujours. Les amateurs de football le savent : un transfert n’est pas qu’une affaire de gros sous.

mercredi 10 mars 2010

Jimi Hendrix et les inventeurs de trésors

Grande polémique autour de l’album d’ « inédits galactiques » de Jimi Hendrix intitulé Valleys of Neptune : fallait-il remixer et publier, quarante après la mort du musicien, des bandes qu’il aurait peut-être laissées au fond d’un tiroir, ou qu’il aurait retravaillées à sa manière ? Sur le site Rue 89, un internaute répond à ceux qui invoquent les mânes de l’artiste que « Kafka avait demandé à son exécuteur testamentaire Max Brod de détruire tous ses écrits après sa mort. C’est grâce à la désobéissance de Brod que nous sont parvenus Le Château et Le Procès ». Le problème est insoluble : Maria Callas avait interdit la publication de son enregistrement de « Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Saint-Saëns, Samson et Dalila), qui est aujourd’hui considéré comme un grand moment de sa discographie. Plus récemment, le pianiste Krystian Zimerman a fait retirer des catalogues quelques-uns de ses plus beaux disques (les Valses de Chopin, les Ballades de Brahms). A-t-on eu raison de passer outre la volonté de Callas une fois qu’elle n’a plus été là ? Zimerman a-t-il tort de faire passer son jugement personnel avant la vox populi ? A-t-on par ailleurs le droit de confronter l’unique Sonate op.1 pour piano d’Alban Berg à ses Variations sur un thème original, une œuvre de jeunesse qu’il a vigoureusement reniée, ou de fouiller les poubelles de Verdi pour reconstituer une partition de Don Carlos qu’il a lui-même élaguée avant la première ? Le meilleur argument à plaider en faveur des tenants de la volonté de l’auteur pourrait bien être la rareté. Apprécierait-on autant Eschyle si l’on possédait les cent-dix pièces qu’il a écrites, au lieu de devoir se contenter des sept chefs-d’œuvre qui nous sont parvenus ? Il est vrai que dans ce cas, ce sont les siècles qui en ont décidé.

mardi 9 mars 2010

Philip Langridge, un ténor à tout faire, et bien

Trois dates dans la carrière du ténor britannique Philip Langridge. En juillet 1982, au festival d’Aix-en-Provence, il tient le rôle principal dans Les Boréades de Jean-Philippe Rameau. L’événement fait un certain bruit, l’ouvrage ayant dû attendre deux-cent-dix-huit ans pour être représenté. En juin 1985, il est Ottavio dans Don Giovanni, monté par Jean-Pierre Ponnelle dans le cadre du festival Mozart lancé par Daniel Barenboim au Théâtre des Champs-Elysées. En 1994 enfin, il chante Peter Grimes de Benjamin Britten à l’English National Opera dans une mise en scène à la pointe sèche de Tim Albery. Grand style français, discipline mozartienne, tradition anglaise. Dans Les Boréades, il indique la voie aux ténors aigus qui vont lui succéder dans ce répertoire enfin redécouvert. Dans Don Giovanni, il fait d’Ottavio, que l’on montre généralement en porte-traîne de Donna Anna, un double chevaleresque du Grand Seigneur méchant homme. Dans Peter Grimes, il mêle l’ambiguïté de Peter Pears, le créateur du rôle, et la violence de Jon Vickers, le « recréateur » de ce marin qui pourrait bien être un assassin. Philip Langridge est mort à soixante-et-onze ans, le 5 mars, d’un cancer fulgurant. A Noël, il était encore sur la scène du Metropolitan Opera de New York, en Sorcière mangeuse d’enfants dans Hänsel et Gretel d’Humperdinck. Il aura décidément tout chanté, et bien.

Pour le voir et l’entendre :
Britten : Peter Grimes - 1 DVD Arthaus Musik – Rameau : Les Boréades - 3 CD Erato

lundi 8 mars 2010

Jouer Mozart rend plus intelligent ? Pas si simple !

Bonne nouvelle pour les musiciens : la pratique de leur art améliore leurs fonctions cérébrales. Cela commence très tôt, si l’on en croit les experts réunis fin 2009 à l’Université d’Austin, au Texas. Au bout d’un an de formation, l’enfant musicien a un cortex auditif différent de celui de ses camarades : mémoire, capacité d’attention et même aptitude au langage sont stimulées. Et cela s’améliore avec l’âge : entre dix et treize ans, les progrès s’accélèrent. Cela se remarque particulièrement chez les sujets atteints de déficits du langage (l’aphasie) ou de l’identification des mots écrits (la dyslexie). Des analyses plus fines ont montré que les régions du cerveau concernées ne sont pas exactement les mêmes selon que l’on étudie le piano (instrument polyphonique), le violon ou que l’on chante. Qu’à cela ne tienne : faites de la musique et vous deviendrez plus intelligent. « Ah non, rien à voir, rectifie le professeur Antoine Sahin, de l’Université de Columbus. L’éducation musicale ne conduit pas nécessairement à améliorer le QI ni la créativité ». Quant à l’intelligence, c’est une notion variable, dont l’appréciation dépend, chez l’enfant, des origines sociales, de l’éducation et du niveau culturel des parents. Glenn Schellenberg, professeur à l’Université de Toronto, indique cependant que « la pratique de la musique et même son écoute passive peuvent aider à accomplir certains tests cognitifs ». Cela marche rien qu’en écoutant Mozart ? « Beaucoup moins bien », répondent en substance ces dignes scientifiques. « Et puis, ajoute Schellenberg, pour les adultes, les effets de la cognition musicale sont plus difficiles à cerner ». Moralité : faites étudier la musique à vos enfants et écoutez autant de Mozart que vous voudrez. Rien de tout cela ne peut vous faire de mal.

dimanche 7 mars 2010

L’Or du Rhin à la Bastille : le miroir déformant de Günter Krämer

La malédiction du Nibelung serait-elle conjurée à l’Opéra de Paris ? Depuis 1957, impossible d’y donner les quatre volets de La Tétralogie. La dernière fois, en 1976, l’entreprise n’était pas allée plus loin que La Walkyrie, laissant exsangues des pointures telles que Georg Solti, Peter Stein et Klaus Michael Grüber (censés monter deux opéras chacun). Pourquoi s’obstiner, puisqu’on en a vu depuis des cycles complets au Théâtre des Champs-Elysées (en concert et sur scène), au Châtelet (par deux fois) et, récemment, au festival d’Aix ? Tout simplement parce qu’une maison qui ne vient pas à bout de ce monument qui est à l’opéra ce que Le Soulier de satin est au théâtre est suspectée de ne pas être bien tenue. Aujourd’hui donc, L’Or du Rhin. La Walkyrie suivra fin mai, et les deux autres « journées » la saison prochaine. Dans la fosse : Philippe Jordan, pour ses débuts de directeur musical. Sur le plateau, la mise en scène de Günter Krämer, gloire du théâtre en Allemagne. Gros succès à la première, jeudi 4 mars. L’orchestre est allant et précis : Jordan a dû écouter son père Armin, chef wagnérien de type « méditerranéen ». Les chanteurs sont à la hauteur, avec l’Anglais Kim Begley en Dieu du feu façon Fratellini, et une incroyable contralto chinoise, Qiu Lin Zhang, en Terre Mère aux allures de Sissi Impératrice. Car Krämer mélange les genres et brouille les codes. Pour nous montrer que le monde des dieux et des géants est un univers impitoyable, il fait appel au cirque, au cabaret, à la BD, à la SF. Il n’innove pas vraiment, mais achève de nous persuader qu’une lecture innocente du grand œuvre wagnérien est désormais impossible. Si La Tétralogie fascine toujours autant, c’est parce qu’elle nous tend un miroir à peine déformant. Ce qu’on y voit n’est pas flatteur. Tirez le rideau !

Crédit photo : Opéra national de Paris/ Elisa Haberer


Wagner : L’Or du Rhin. A l’Opéra de Paris Bastille, les 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28 mars.

samedi 6 mars 2010

Concours de Bamberg : Trois questions à Jonathan Nott

La troisième édition du Concours de direction d’orchestre Gustav Mahler de Bamberg s’est terminée hier soir avec la remise des prix et le concert du lauréat, Ainārs Rubiķis. Jonathan Nott, directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Bamberg et fondateur du concours nous explique ses objectifs.

Dans le monde il existe déjà d’autres concours de direction d’orchestre, qu’est-ce que Bamberg a de différent ?
D’abord, pour les candidats, tous les frais sont payés, ils n’ont donc rien à débourser pour l’inscription, ils partagent le même hôtel que le jury avec lequel ils peuvent parler librement. J’ai aussi voulu qu’il n’y ait pas trop de pièces à diriger, de cette manière chacun des douze candidats peut apprendre quelque chose, tirer un enseignement de cette expérience pendant au moins les quarante-deux minutes dont il dispose dans la première phase du concours. Bien sûr, il faut un vainqueur, mais ce qui m’intéresse c’est ce que tous les candidats sortent d’ici enrichis. D’ailleurs, la relation avec eux ne se termine pas une fois qu’ils sont éliminés : on garde le contact et la fin du concours est plutôt le début d’une relation.

Pourquoi Gustav Mahler est l’axe de ce concours ?
D’abord par l’histoire : avant que le nom soit changé pendant la Deuxième Guerre Mondiale, cet orchestre était l’Orchestre Allemand de Prague que Gustav Mahler a dirigé pendant un an. Mais aussi, plus profondément, parce Mahler était un grand chef qui a fait beaucoup pour la musique de son temps. Enfin parce que sa musique permet de mesurer les qualités d’un chef par sa complexité et sa densité : vous changez la couleur d’une seule ligne, toutes les autres changent aussi. Mahler est sur le fil très mince qui divise la musique du passé et la musique de nos jours : quand on écoute une symphonie de Beethoven, on doit se transporter mentalement à son époque pour mieux la comprendre ; quand on écoute Mahler, on a le sentiment d’être dans notre époque. C’est pourquoi la musique contemporaine occupe une place très importante dans le concours : un chef de nos jours doit savoir diriger non seulement Mahler mais aussi les compositeurs de nos jours. L’époque où un chef pouvait se concentrer sur un seul répertoire voire un seul compositeur est finie.

Le risque avec un concours comme celui-ci n’est pas justement de primer la jeunesse plutôt que la qualité d’un chef ?
J’espère que ce n’est pas notre cas puisque par exemple cette année nous avons choisi le candidat le plus âgé. En même temps, pour un candidat de 21 ans seulement, un deuxième prix qui lui ouvrira de portes est peut-être plus intéressant que le premier prix qui le mettrait tout suite sous les feux de la rampe et la pression médiatique.

Le palmarès :
1er prix (20.000 euros) : Ainārs Rubiķis, Lettonie (né en 1978)
2ème prix (10.000 euros ) : Aziz Shokhakimov, Ouzbékistan (né en 1988)
3ème prix (5.000 euros) : Yordan Kamdzhalov, Bulgarie (né en 1980)

vendredi 5 mars 2010

Concours de Bamberg : Le combat des chefs

A ma droite, le candidat ouzbèque, Aziz Shokhakimov, 22 ans, râblé, plein d’énergie, qui emploie la baguette pour fouetter les musiciens, les inciter à donner toujours plus dans l’expression. A ma gauche, le candidat Letton, Ainārs Rubiķis, 32 ans, un véritable poids plume qui combine précision et élégance des gestes. Le combat se fait en trois rounds : d’abord une page contemporaine d’environ cinq minutes, puis une répétition en quinze minutes du Scherzo de la Quatrième symphonie de Mahler, et enfin le troisième mouvement de cette même oeuvre mais cette fois-ci exécuté sans aucune interruption et sans aucune indication verbale des candidats : un numéro sur la corde raide et sans filet.
Pour cette finale du Concours de Direction d’orchestre de Bamberg, le public est venu en masse, un public de connaisseurs : sur les 70 000 habitants de la ville, 7 000 sont des abonnés de l'Orchestre. Et il se passionne pour la confrontation des deux styles.
Premier sur le ring, Aziz Shokhakimov s’attaque à Con brio de Jörg Widmann, page ultravirtuose, en faisant justice au titre de l’oeuvre. Il s’en sort, mais on se demande s’il est vraiment à l’aise dans ce répertoire. Dans Mahler en revanche son style musclé montre ses limites : ses gestes sont appuyés pour épaissir les traits et essayer ainsi de faire oublier les inévitables couacs par une surenchère d’émotion. Mais à force de demander toujours plus aux musiciens, l’ensemble s’écroule. La faute à l’inexpérience ?
Ainārs Rubiķis monte à son tour sur le podium avec l’énorme partition de Towards Osiris, l’oeuvre contemporaine qu’il défend sans qu’apparemment le compositeur (Matthias Pintscher, par ailleurs membre du jury) soit choqué : tout semble fluide. Mais ce n’est rien à côté de son Mahler. Après le style très appuyé de son rival, sa direction subtile, tout en finesse, fait mouche et tire le meilleur de l’Orchestre de Bamberg, transfiguré. Dans le scherzo, il est à la fois pointilleux dans ses indications et imagé quand il évoque l’atmosphère fête de ce mouvement : « C’est comme le Violoniste sur le toit, amusez-vous ! » Son combat, il le gagne par KO dans le quatrième mouvement : c’est de la musique de chambre et on reste émerveille par la souplesse d’un orchestre qui se plie à la moindre de ses indications. Après ce numéro, le chef quitte la scène sous un tonnerre d’applaudissements. Le jury est lui aussi sous le charme et Ainārs Rubiķis devient le Premier Prix de cette troisième édition. A 32 ans, c’est encore un jeune chef (jusqu’à quelle âge un chef est encore « jeune »?) qui peut montrer désormais une excellente carte de visite. Saura-t-il bien l’utiliser ?


Crédit photos : Matthias Hoch

jeudi 4 mars 2010

Concours de Bamberg : la première demi-finale

Première demi-finale du Concours de Direction d’orchestre Gustav Mahler de Bamberg. Pas de jurés assis en rang d’oignon face à la scène : ils sont un peu partout, comme durant toute la compétition, certains, même, sont assis au milieu de l’orchestre pour mieux apprécier la technique des candidats. Et Jonathan Nott, le directeur musical du Symphonique de Bamberg, a pris place sur un balcon juste derrière l’orchestre, en face des candidats car, dit-il, « je veux suivre leurs regards et leurs gestes. »
Des beaux gestes, l’allemand Cornelius Heine, premier candidat de la soirée, en a beaucoup, et une technique sûre qui témoigne d’une expérience certaine. Mais pourquoi alors a-t-il à du mal à convaincre les musiciens ? Dans les deux mouvements de la Quatrième symphonie de Mahler, il s'en sort, mais dans le menuet de la Symphonie n° 104 de Haydn c’est la catastrophe : c’est lourd, sans grâce et sans esprit. La belle machine qu'est le Symphonique de Bamberg brille dans Mahler mais patauge dans Haydn. La faute au chef ? Le premier basson de l’orchestre, Pierre Martens a sa propre théorie : « Mahler, c’est une machine complexe qu’un chef peut mettre en route avec une bonne technique : tout le monde le suivra. Dans Haydn, la simplicité de la partition complique les choses : chaque musicien y ajoute sa touche personnelle à ce qui est écrit, au chef de mettre tout le monde d’accord. Mahler est parfois difficile pour une jeune chef, mais rien n’est plus subtil qu’un menuet de Haydn. »
Qu’on demande sinon à l’autre candidat, le Bulgare Yordan Kamdzahlov, belle chevelure noire à la Celibidache, qui a aussi tout le mal du monde à expliquer aux musiciens comment il veut interpréter ce menuet qui décidément fait de la résistance. Il est en revanche très à l’aise dans Mahler où, quasiment sans explications, il arrive à transformer la sonorité de l’orchestre. Comment font les musiciens pour jouer deux fois le même morceau dans la même soirée et de manière totalement différentes, pour oublier les indications d’un candidat afin de mettre en oeuvre celles du suivant ? Aucun mystère, explique encore Pierre Martens : « C’est une question de communication gestuelle : entre musiciens on doit pouvoir se comprendre avec une simple indication. C’est même à cela que l’on reconnaît un bon chef. »

Crédit photos : Matthias Hoch

mercredi 3 mars 2010

Bamberg, un Concours sous le signe Dudamel

Je vous laisse jusqu'à samedi en compagnie de Pablo Galonce, qui vous propose de suivre avec lui le concours de direction d'orchestre de Bamberg.
FL


Le miracle Bamberg va-t-il se répéter ? En 2004, pour la première édition du Concours de direction d’orchestre Gustav Mahler, le jury a eu du flair en couronnant le Vénézuélien Gustavo Dudamel, future vedette Deutsche Grammophon et directeur musical (à vingt-huit ans) du Philharmonique de Los Angeles. C’est l’espoir de démarrer une carrière tout aussi fulgurante qui a poussé 280 candidats à tenter leur chance pour la troisième édition de ce Concours désormais très suivi, créé sous l’impulsion de Jonathan Nott (photo), le chef de l’Orchestre Symphonique de Bamberg.
L’Orchestre, formé après le Deuxième Guerre Mondiale de musiciens tchèques passés à l’ouest, reste la meilleure carte de visite de cette petite ville du Nord de la Bavière, qui pourrait servir de décor aux Maîtres chanteurs de Nuremberg. Depuis la révélation Dudamel, Bamberg est synonyme de succès rapide : et si le jury trouvait à nouveau la perle rare ?
Les demi-finales de la troisième édition commencent aujourd’hui mercredi. Les quatre candidats sélectionnés - un Allemand, un Letton, un Bulgare et un Uzbèque – devront évidemment diriger une symphonie de Mahler (la Quatrième), mais aussi une de Haydn, un peu de Webern et deux pages de compositeurs vivants, Matthias Pintscher et Jörg Widmann (N’oublions pas que Jonathan Nott a été directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain). Mais est-ce suffisant ? Un concert, aussi réussi soit-il, peut-il laisser deviner l’avenir d’un chef, dont le talent demande plus de temps à mûrir que celui d’un instrumentiste. En France, le Concours de Besançon a lancé Seiji Ozawa, mais les «bêtes à concours» qui peuvent impressionner un jury ne tiennent pas forcément la distance. Dudamel lui-même, six ans après, est très médiatisé, mais il est loin d’avoir réalisé toutes ses promesses.

Crédit photo : P. Eberts/R. Haughton

mardi 2 mars 2010

Le disque selon Bernard Coutaz, ou l’invention d’Harmonia Mundi

Eric Rohmer hier, Bernard Coutaz aujourd’hui : les pionniers de la nouvelle vague, qu’elle soit discographique ou cinématographique, s’en vont. Sous la dénomination bien trouvée d’Harmonia Mundi, Bernard Coutaz a commencé par enregistrer des orgues, il a fait d’Alfred Deller une star en un temps où la voix de contre-ténor provoquait des ricanements gênés, puis il est devenu, avec René Jacobs (à l’époque… contre-ténor), Dominique Visse (idem), William Christie, Philippe Herreweghe et quelques autres, l’éditeur des voix à l’ancienne et des instruments d’époque. Installé à Saint-Michel de Provence, Harmonia Mundi avait alors des allures baba cool qui allaient bien avec les artistes et leur public. Les éditeurs sérieux jetaient un regard condescendant sur ces doux rêveurs qui défendaient un répertoire marginal et des partis-pris post-soixante-huitards. Ils avaient tort. Distribution de labels d’art, installation de filiales - d’abord à Londres, puis dans le monde entier -, diffusion de collections de livres, achat des éditions Chant du Monde, ouverture de boutiques permettant d’échapper à la dictature de la grande diffusion : un demi-siècle après sa création, Harmonia Mundi résiste mieux à la crise que les dinosaures internationaux. Christie est parti, mais Herreweghe et Jacobs (maintenant chef d’orchestre) son toujours là, et sont devenus des vedettes. Si enregistrer pour Deutsche Grammophon, c’est entrer à l’Académie, faire des disques chez Harmonia Mundi, c’est un peu donner des cours au Collège de France. Depuis Arles, Eva Coutaz, qui a repris les rênes, reste fidèle aux principes-maison : pas de caprices de stars, mais un travail d’ensemble au service d’une programmation raisonnée. Résultat : une certaine rigidité de fonctionnement, mais un catalogue qui ressemble à quelque chose, aucune concession au marketing (« Ce navet nous permettra de financer des projets exigeants… ») et un public qui sait qu’on ne se moque pas de lui. Dans le sillage de Coutaz - comme de son confrère et rival Michel Bernstein, créateur des disques Valois -, sont apparus ces « petits labels » qui secouent l’institution et entretiennent le flambeau. Merci à eux. Quand le CD sera exposé au Centre Pompidou entre les premiers lave-linge et le stérilisateur de Mon Oncle de Jacques Tati, ce sont peut-être ces disques-là que l’on conservera comme témoins d’un âge d’or.

lundi 1 mars 2010

Chopin et Schumann : l’un fait un tabac, l’autre pas

1er mars : date à laquelle Chopin fêtait son anniversaire. Son acte de baptême indique le 22 février. Bref, il y a à peu près deux-cents ans qu’il est né. Demandez autour de vous de quels musiciens on fête cette année le bicentenaire. « Chopin ! », vous répondra-t-on en chœur. Insistez : « Seulement Chopin ? ». Il n’y en aura pas beaucoup pour se taper sur le front : « Ah oui, Schumann ! ». On comprend que ni le quadricentenaire de Dumont et Lambert, ni même le tricentenaire de Pergolèse et Wilhelm Friedmann Bach ne fasse rêver grand-monde. Mais Schumann, le romantique par excellence, le fou sublime, le découvreur de talents, parmi lesquels … Chopin (« Chapeau bas, Messieurs, un, génie ») ? Eh bien oui, c’est comme ça. Chopin et la Pologne martyrisée, Chopin et George Sand, Chopin mourant poitrinaire à trente-neuf ans, cela fait battre les cœurs, comme si l’artiste était toujours vivant, comme si le charme qui faisait chavirer jeunes filles et duchesses agissait encore.
En revanche, Schumann fou d’amour pour la belle Clara, Schumann fou de jalousie envers le jeune Brahms, Schumann fou tout court se jetant dans le Rhin (et se ratant), cela ne passe plus, cela n’a jamais bien passé. Question de musique aussi, et même d’abord. Chopin, c’est profond, mais ça n’en a pas l’air. Schumann, ça ne l’est pas moins, mais ça se voit. La Valse-minute ou la Polonaise en la, un enfant peu les écouter en boucle. Les Scènes d’enfants, en revanche, c’est quand on est adulte qu’on les apprécie. Voilà : Chopin est plein de nos souvenirs d’enfance. Pas Schumann. Alexandre Tharaud a sorti un récital intitulé « Chopin, journal intime ». Vous imaginez « Schumann, journal intime ? » De quoi devenir fou ! L’année prochaine, ce sera le bicentenaire Liszt. Le sujet est vaste, le personnage charmeur, et sa musique, dont on connaît surtout les pièces de virtuosité, n’a pas la réputation d’être «difficile ». On se trompe : Liszt est aussi difficile que Schumann. Il est seulement moins génial. Et puis il est mort vieux, et l’on s’attendrit surtout sur les anges fauchés en plein vol, comme Chopin. Schumann, lui, est mort entre deux âges. Décidément, il a eu tout faux !

Soirées Chopin sur Arte, le 1er mars avec Alexei Volodine, le 7 avec Rafal Blechacz.