mardi 2 mars 2010
Le disque selon Bernard Coutaz, ou l’invention d’Harmonia Mundi
Eric Rohmer hier, Bernard Coutaz aujourd’hui : les pionniers de la nouvelle vague, qu’elle soit discographique ou cinématographique, s’en vont. Sous la dénomination bien trouvée d’Harmonia Mundi, Bernard Coutaz a commencé par enregistrer des orgues, il a fait d’Alfred Deller une star en un temps où la voix de contre-ténor provoquait des ricanements gênés, puis il est devenu, avec René Jacobs (à l’époque… contre-ténor), Dominique Visse (idem), William Christie, Philippe Herreweghe et quelques autres, l’éditeur des voix à l’ancienne et des instruments d’époque. Installé à Saint-Michel de Provence, Harmonia Mundi avait alors des allures baba cool qui allaient bien avec les artistes et leur public. Les éditeurs sérieux jetaient un regard condescendant sur ces doux rêveurs qui défendaient un répertoire marginal et des partis-pris post-soixante-huitards. Ils avaient tort. Distribution de labels d’art, installation de filiales - d’abord à Londres, puis dans le monde entier -, diffusion de collections de livres, achat des éditions Chant du Monde, ouverture de boutiques permettant d’échapper à la dictature de la grande diffusion : un demi-siècle après sa création, Harmonia Mundi résiste mieux à la crise que les dinosaures internationaux. Christie est parti, mais Herreweghe et Jacobs (maintenant chef d’orchestre) son toujours là, et sont devenus des vedettes. Si enregistrer pour Deutsche Grammophon, c’est entrer à l’Académie, faire des disques chez Harmonia Mundi, c’est un peu donner des cours au Collège de France. Depuis Arles, Eva Coutaz, qui a repris les rênes, reste fidèle aux principes-maison : pas de caprices de stars, mais un travail d’ensemble au service d’une programmation raisonnée. Résultat : une certaine rigidité de fonctionnement, mais un catalogue qui ressemble à quelque chose, aucune concession au marketing (« Ce navet nous permettra de financer des projets exigeants… ») et un public qui sait qu’on ne se moque pas de lui. Dans le sillage de Coutaz - comme de son confrère et rival Michel Bernstein, créateur des disques Valois -, sont apparus ces « petits labels » qui secouent l’institution et entretiennent le flambeau. Merci à eux. Quand le CD sera exposé au Centre Pompidou entre les premiers lave-linge et le stérilisateur de Mon Oncle de Jacques Tati, ce sont peut-être ces disques-là que l’on conservera comme témoins d’un âge d’or.
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