lundi 9 novembre 2009

Déni de paternité

Le siècle de Molière, la Maison de Molière ? Fini tout cela ! Un nouveau livre vient de paraître (1), reprenant une fois de plus la thèse lancée en 1919 par Pierre Louÿs, et prouvant par A+B que c’est Corneille qui a écrit Tartuffe et Le Misanthrope. Il n’est qu’à regarder l’affiche des Femmes Savantes donné actuellement au Petit Théâtre de Paris, avec le pourtant très traditionnel Jean-Laurent Cochet : le nom de l’auteur est tout petit, coincé entre le titre et celui, plus gros, du metteur en scène.

La musique est relativement épargnée par ce déni de corporalité. On sait que ce n’est pas Albinoni qui a composé l’Adagio d’Albinoni, ni Pachelbel le Canon de Pachelbel, mais personne n’a encore contesté le fait que c’est Beethoven qui a composé la Neuvième de Beethoven, et ni Peter Schaeffer, l’auteur d’Amadeus (la pièce), ni même Pouchkine, qui a officialisé en 1830 la thèse de l’assassinat de Mozart, ne sont allés jusqu’à attribuer La Petite Musique de nuit à Salieri. On a en revanche mis aussi longtemps à admettre que Le Couronnement de Poppée soit un « travail d’école » (comme on le dit pour la peinture) plutôt qu’un chef-d’œuvre entièrement sorti de la plume de Monteverdi, qu’à comprendre que Shakespeare n’a fait « qu’améliorer » des canevas de pièces existant déjà, et qu’il est accessoire d’aller ouvrir sa tombe pour voir s’il a vraiment existé.
On nous en rebat les oreilles : pas de deuil sans la preuve que le disparu est bien mort. Mais se dira-t-on un jour qu’il est plus important de pouvoir écouter Le Couronnement de Poppée en 2009 que d’être sûr que Monteverdi ne s’est pas fait aider pour l’écrire en 1642, et de pouvoir se régaler des Femmes savantes que d’avoir la certitude que Molière en est l’unique papa. Comme disait de l’Affaire Molière le metteur en scène et pédagogue Antoine Vitez (qui a bien existé) : « Tout cela vient du fait qu’on ne pardonne jamais à un saltimbanque d’être un génie ».


(1) Si 2 et 2 sont 4, Molière n’a pas écrit Dom Juan, Tartuffe, etc., par Dominique Labbé. Editions Max Milo, 255 p., 18 euros

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