samedi 13 février 2010
Avec Irina Arkhipova, c’est toute une époque qui s’en va
Au temps de l’URSS, les disques Melodyia (label officiel et unique, comme Mosfilm pour le cinéma) avaient deux caractéristiques : l’encre de leur pochette sentait mauvais et le prénom des interprètes n’était indiqué que par leur initiale. C’est ainsi que Boris Godounov par le Bolchoï de Moscou (version officielle aussi, d’ailleurs recommandée par les critiques occidentaux) était chanté par I. Petrov et I. Arkhipova. Invitée à Paris avec le Bolchoï au grand complet en 1969, I. devint Irina, et fit un tabac. On la revit en 1972 aux Chorégies d’Orange, dans un Trouvère de Verdi où elle ravalait sa partenaire Montserrat Caballé au rang des petite voix. Quel organe elle avait, cette Artiste du peuple à qui le ministère de la Culture soviétique ne refusait jamais un visa pour l’étranger (il y avait des gens, à l’époque, pour prétendre qu’elle notait les faits et gestes de ses collègues en tournée avec elle, mais on disait cela de tous les artistes autorisés à passer le rideau de fer) ! En dehors du répertoire russe, où les mezzos à large vibrato sont bien servis, c’est Carmen qui était - si l’on ose dire - son cheval de bataille.
Il existe chez Melodiya un enregistrement live du Bolchoï où elle a pour partenaire le bouillant Mario Del Monaco (en représentation, comme on disait à l’époque), lequel, alors que le reste de la troupe chante en russe, claironne Don José en italien, avec des passages en français, sans doute pour faire « version originale ». A l’’époque, cela ne dérangeait pas : quand I(van) Petrov est venu chanter Boris au Palais Garnier en 1954, il était le seul à s’exprimer en VO. Irina Arkhipova, qui occupait sa retraite à la gestion d’une Fondation destinée à soutenir les jeunes chanteurs d’opéra, est morte à Moscou jeudi 11 février, d’une insuffisance cardiaque. Elle avait quatre-vingt-cinq ans. Ecoutez-la dans le Boris Godounov déjà cité (dirigé par le grand chef Alexandre Melik-Pachaiev), dans La Khovantschina (direction : le non moins grand Boris Khaikine), ou dans Guerre et Paix de Prokofiev, où elle chante le rôle d’Hélène Bezoukhov, qu’elle avait créé au Bolchoï en 1959. En 1992, on l’avait encore vue en Nourrice d’Eugène Onéguine au Châtelet. Un tout petit rôle. Aux saluts, les fleurs pleuvaient sur elle.
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