mardi 16 février 2010
Prokofiev, dernières miettes du gâteau
Le 9 février, le pianiste russe Boris Berman, interprète d’une intégrale Prokofiev (Chandos) et d’un livre sur les Sonates de Prokofiev (Yale University Press), joue Prokofiev au Zankel Hall de New York. Rien que de normal, sauf qu’il s’agit cette fois d’œuvres récemment retrouvées de l’auteur de Pierre et le Loup. Il y a la Musique pour les athlètes, composée en 1939 pour un spectacle gymnique devant rassembler 30 000 jeunes, mais qui n’a pas eu lieu parce que le metteur en scène, le grand Vsevolod Meyerhold, a été arrêté par la police de Staline. Il y a deux mouvements rescapés du ballet Trapèze (1924), jamais joué, et dont Prokofiev a récupéré la musique dans le Quintet op. 39 et le Divertimento op. 43. Il y a aussi des fragments de l’opéra Mers lointaines, laissé inachevé en 1948. Musiques perdues, ou abandonnées en route, ce qui n’est pas la même chose, sauf si l’on est fataliste, et que l’on est persuadé que ne se perd que ce qui doit se perdre. On pense en tout cas à ces fragments de poteries retrouvées dans un champ de fouilles, et qui permettent aux archéologues de reconstituer la maison tout entière. Sauf qu’en musique, les fragments sont trompeurs, et restent mystérieux quant aux intentions de l’auteur. Les œuvres terminées après coup (Turandot de Puccini, Lulu de Berg, la Symphonie inachevée de Schubert, la 10ème Symphonie de Mahler) le montrent bien : après avoir été inachevées, elles sont devenues bancales. Notre époque s’est fait une raison, et pratique le culte du fragment : on aime les derniers tableaux de Turner parce qu’ils ne sont pas finis, on est d’autant plus touché par Le premier Homme et Le dernier Nabab que Camus et Fitzgerald n’ont pas eu le temps de les terminer, on glose sur le fait que Debussy a qualifié La Mer d’ « esquisses symphoniques ». En attendant, elle est très amusante, cette Musique pour les athlètes, que Prokofiev a composée dans le style réaliste-socialiste-accessible-aux-masses, dont le ballet Roméo et Juliette est le chef-d’œuvre. Et puis, au fait, elle est terminée, elle.
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