mardi 15 décembre 2009
Patrick Modiano : la musique des noms
Pas plus que le dossier (par ailleurs excellent) que lui a consacré en octobre Le Magazine littéraire, les diverses études, actes de colloques, essais et monographies qui se multiplient à propos de Patrick Modiano ne tiennent compte de certains aspects musicaux de ses textes. Pas de la « petite musique » (au sens tchékhovien) dont, au contraire, ils nous rebattent les oreilles, ni même du rythme subtil qui donne une respiration particulière à ces quêtes improbables d’un passé qui se dérobe, mais des résonances affectives provoquées par certains noms (de personnes, de rues, de villes), par leur galbe sonore, par la façon dont ces syllabes, ces mots, ces numéros de téléphone même (Auteuil 15 28) entretiennent l’ambiguïté, nous renvoient à un monde disparu, nous rendent complices des fantômes qu’ils évoquent tout en entretenant notre angoisse de découvrir (ce qui n’arrive pourtant jamais) qui sont ces gens dont la trace ne veut pas s’effacer. Les titres mêmes des romans de Modiano sont musicaux, à la manière de ces leitmotives qui s’impriment dans la mémoire, y fleurissent, y entretiennent d’indétectables correspondances : Chien de printemps, Fleurs de ruine, Des Inconnues, Vestiaire de l’enfance, Dans le café de la jeunesse perdue. Et puis les noms, de femmes d’abord : La petite Bijou, Dora Bruder, Blanche-Neige ; des revenants ensuite (souvent des pseudonymes) et des lieux qu’ils ont hantés : Van Bever, Louki, Annet, La Houpa, Maurice Raphaël, Arthur Adamov (tiens, un personnage vrai, un écrivain, comme par hasard), l’hôtel de Lima, la rue Vineuse, l’avenue du Nord. Technique de romancier, direz-vous. Proust a consacré aux noms des chapitres célèbres. Simenon sait lui aussi faire chanter noms et lieux, et n’a pas son pareil (si ce n’est Modiano) pour faire ressurgir des mélodies du plus loin de l’oubli (un titre de Modiano, encore). Cela dit, Modiano, comme Simenon d’ailleurs, ne parle presque jamais de musique. Mais alors que fait ce post sur un blog intitulé Musikzen ?
Le Magazine littéraire, octobre 2009. Dossier Patrick Modiano
Bruno Blanckeman : Lire Patrick Modiano. Librairie Armand Collin « Ecrivains au présent ».
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